Perk

Deux jeunes activistes africains en lutte dans leur pays

INTERVIEW CROISÉE AVEC PERK POMEYIE ET NISREEN EL SAYEEN  

Maxime Giegas
Chargé de projets à la FUCID

Si les conséquences du dérèglement climatique commencent à se faire sentir dans le Nord global[1]Le concept de Nord/Sud global est utilisé pour décrire un groupe de pays selon des caractéristiques socio-économiques et politiques. Le Sud global comprend les pays du continent africain, d’Amérique latine, des Caraïbes et de certains pays d’Asie et d’Océanie caractérisés par un … Continuer de lire, cela fait déjà plusieurs décennies que le Sud global les subit. Selon le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le continent africain est le continent qui produit le moins d’émissions de gaz à effet de serre, mais qui en subit le plus les conséquences. En effet, c’est dans ces régions que les pluies torrentielles, les inondations, les sécheresses, etc. font partie du quotidien de plusieurs centaines de millions d’habitants avec des conséquences terribles qui ne font que s’accumuler. Le Docteur Christopher Trisos[2]Christopher Trisos dirige le Climate Risk Lab de l'African Climate and Development Initiative de l'Université du Cap, en Afrique du Sud et est responsable du chapitre consacré à l'Afrique dans le nouveau rapport., l’un des coordinateurs principaux du rapport du GIEC, interviewé par le média Afrique Renouveau en mars 2022, prévient ainsi des risques encourus par le continent africain : « Plusieurs pays d’Afrique devraient être confrontés à des risques qui se chevauchent. Ils connaitront une réduction de la production alimentaire des cultures et des produits halieutiques, ainsi qu’une augmentation de la mortalité liée à la chaleur. La perte de productivité du travail liée à la chaleur et les inondations dues à l’élévation du niveau de la mer. »  En réponse à ces événements au Nord comme au Sud, une partie de la population se mobilise face à l’inaction politique, les jeunes marchent pour le climat, des figures d’activistes naissent un peu partout pour souligner l’urgence de la situation. Aujourd’hui, intéressons-nous à ce militantisme à travers le regard de deux activistes climatiques africains, l’un au Ghana, l’autre au Soudan.

Richard Edem Pomeyie, aussi appelé Perk Pomeyie est un activiste résidant à Accra au Ghana. Engagé depuis 8 ans, il est dorénavant le coordinateur national du Ghana Youth Environmental Movement (le mouvement des jeunes ghanéens pour l’environnement).

Nisreen El Sayeen, elle, vit au Soudan où elle a commencé ses activités de militante climatique il y a maintenant 11 ans. Elle est désormais la présidente du mouvement Sudan Youth for Climate Change (la jeunesse soudanaise contre le changement climatique) et a notamment pu présider le groupe consultatif de la jeunesse sur le changement climatique de l’ONU lors de la COP26 à Glasgow en 2021 (les COP sont des conférences des Nations Unies qui ont lieu tous les ans pour fixer des objectifs communs de réduction des gaz à effet de serre).

Tous deux ne se destinaient pourtant pas à travailler sur des enjeux environnementaux. En effet, Perk travaillait dans le graphisme : « Mon point d’entrée dans le mouvement environnemental s’est fait par mes compétences de designer graphique. Le fondateur du mouvement avait besoin d’un graphiste pour designer sa campagne en ligne. C’est donc à travers ce simple job que j’ai commencé m’intéresser plus en profondeur à ces enjeux climatiques. » Nisreen, elle, est entrée dans le milieu environnemental grâce à ses compétences académiques : « À l’université, j’ai étudié la physique en bachelier. Suite à des révolutions violentes dans mon pays, j’ai compris qu’en étant uniquement scientifique, je n’accéderais pas aux organes décisionnels. Ce ne sont pas les scientifiques mais les politiciens qui prennent les décisions, ce pourquoi j’ai continué mes études dans un domaine appelé la diplomatie scientifique qui consiste à utiliser la science au service de la diplomatie. J’ai alors découvert qu’il y avait beaucoup de liens entre la physique et les changements climatiques. J’ai donc commencé en plus à faire du volontariat dans une organisation locale au Soudan, cela m’a permis de continuer d’en apprendre plus sur le sujet, j’ai pu visiter des régions au Soudan où l’on constate directement et de manière évidente les effets du changement climatique. »

Un tournant décisif

Ce sont malheureusement deux évènements tragiques auxquels tous les deux ont été confrontés de très près qui les ont définitivement convaincus de se mobiliser pour la justice climatique. Alors que Nisreen passe pour la première fois ses examens à l’Université de Khartoum (capitale du Soudan), en juin 2012, une manifestation d’étudiant·e·s éclate dans la rue : elle donnera le coup d’envoi à des manifestationsour dénoncer l’augmentation du coût de la vie et les mesures d’austérité adoptées par le gouvernement. Mais ce dernier va réagir de manière très violente « avec beaucoup de gaz lacrymogène, de haine et d’arrestations », se rappelle la jeune femme, alors collée aux chaînes d’informations. Le lendemain, cependant, elle sera le témoin direct de ces violences : « le second jour, je me souviens, il y avait, dans l’université, des étudiants loyaux envers le régime. Ils ont débarqué dans notre classe où nous étions en train de passer nos examens et ont déchiré toutes les copies. Ensuite, ils s’en sont pris à deux étudiants jusqu’à les jeter par la fenêtre du troisième étage de ma classe… c’était terrible ! L’un est décédé et l’autre était gravement blessé… L’université a dû être fermée pendant au moins trois mois. C’est à ce moment que j’ai voulu lier mes études de physique avec un engagement sociétal. »

Pour Perk, les conséquences du dérèglement climatiques sont venues directement frapper à sa porte. Lors d'une nuit d'été de juin, en 2016, la ville d'Accra est tourmentée par des pluies diluviennes. Perk s'en souvient bien, c'était la veille de son anniversaire : « Les pluies ont causé beaucoup de dégâts cette nuit-là, dont l’explosion d’une industrie qui a coûté la vie à de nombreuses personnes... Ce fut un jour très triste pour l’entièreté du pays, mais ça m’a aussi affecté directement : un ami très proche a perdu sa sœur qui allait travailler dans un hôpital ce soir-là. Je pouvais aussi imaginer l’impact de cette catastrophe sur de nombreuses autres personnes, d’autres familles. Ce fut un moment d’éveil pour moi, j’ai compris qu’il fallait faire quelque chose. J’ai donc continué à lire et à m’informer sur le sujet et j’ai pu constater que, malgré le fait que nous ne contribuons qu’infiniment peu au dérèglement climatique, nous en subissons pourtant le plus les conséquences – et ce n’est pas uniquement les vies perdues, mais aussi les infrastructures dans un pays qui continue de se développer : leur destruction nous ralentit fortement dans ce processus. »

La jeunesse comme clé de voute de la lutte

Perk et Nisreen se sont alors investis à leur manière jusqu’à devenir des acteur·trice·s clés, dans leur pays, dans la lutte pour plus de justice climatique. Nisreen, avec un petit groupe, a ainsi créé la première organisation de jeunes s’engageant sur le changement climatique au Soudan avec trois objectifs principaux : « Le premier est de sensibiliser autour de ces enjeux. Nous pensons que, si tu ne comprends pas le problème, alors tu ne pourras pas le solutionner. La priorité pour nous est donc de sensibiliser sur les enjeux climatiques, surtout auprès des jeunes qui pourront par la suite sensibiliser à leur tour un plus grand nombre. En rencontrant ces jeunes, nous avons constaté que beaucoup d’entre eux perdaient leur emploi et/ou leurs revenus dans les secteurs de la production alimentaire à cause du réchauffement climatique et du manque de moyens et d’outils pour s’adapter à ces changements. Nous avons donc voulu, comme second objectif, les former à des emplois alternatifs et, pour certains, nous avons essayé de les introduire à des techniques climato-intelligentes. Enfin, le dernier objectif reste le plaidoyer : nous nous mobilisons auprès des autorités gouvernementales afin que celles-ci prennent des mesures fortes sur ces questions, mais aussi que la jeunesse puisse prendre part aux discussions autour de ces nouvelles mesures vu qu’elle est la principale concernée par l’implémentation de ces dernières. »

De son côté, Perk a enchaîné les projets et actions, mais il est particulièrement fier de la campagne « No Coal in Ghana », organisée par le Ghana Youth Environmental Movement entre 2013 et 2016 et qu’il a rejoint en cours de route. L’objectif de cette campagne était d’empêcher le gouvernement ghanéen de construire sa toute première centrale à charbon pour répondre aux besoins en énergie de la population. Pour lutter contre cette nouvelle construction, Perk et son organisation ont mis en place plusieurs actions : « Nous avons commencé par sensibiliser la communauté locale dans laquelle la centrale allait prendre place afin qu’elle puisse avoir l’entièreté des informations sur les conséquences de cette construction sur leur terrain. » En effet, si le gouvernement a pu vendre le projet aux habitant·e·s comme une opportunité d’emplois, un accélérateur de développement dans la communauté, à travers la construction de routes par exemple, le Ghana Youth Environmental Movement a voulu s’assurer que la population avait aussi conscience des risques : « Elle ne voyait pas comment la pollution générée par cette centrale au charbon allait détruire leurs fermes, leurs modes de vie, allait les exposer à certains dangers ou réduire leur espérance de vie ! Toutes ces conséquences étaient absentes des discours des politiciens et experts qui vendaient le projet. Nous avons également organisé des campagnes en ligne, des manifestations, une présence dans les médias pour sensibiliser, mais aussi pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il soit transparent avec la population. »

Nous pensons que si tu ne comprends pas le problème, alors tu ne pourras pas le solutionner.

Cette campagne, Perk en est très fier car, comme il le conclut : « À la fin, nous avons atteint notre objectif puisque le gouvernement a décidé d’abandonner le projet. » Aujourd’hui, le Ghana ne compte toujours pas de centrale à charbon sur son territoire et a comme objectif d’atteindre les 10% de part de l’électricité produite dans le pays par des énergies renouvelables d’ici 2023[3]Direction générale du Trésor, 2020.. Malheureusement, dans le monde, 8500 centrales à charbon sont encore en activité[4]Birol, 2021., produisant plus d’un tiers de l’électricité mondiale alors qu’il s’agit de la source d’énergie émettant le plus de gaz à effet de serre. Il est prévu que plus de 300 nouvelles centrales voient le jour dans les pays émergents dans les cinq prochaines années.

Mener des actions de sensibilisation reste donc, pour Nisreen et Perk, l’un des leviers les plus importants dans leur pays respectif car, comme Perk le rappelle : « Même s’il y a une amélioration, une évolution, il y a toujours de la place pour faire plus, pour sensibiliser plus, pour continuer à se mobiliser et à changer notre comportement et notre perception sur ces enjeux. Depuis que j’ai commencé à m’engager, je vois une progression positive mais nous pouvons impliquer et outiller encore plus de personnes pour les aider à s’adapter, voire agir, par rapport au changement climatique. » Pour lui, l’urgence climatique commence à être sérieusement considérée par toutes les sphères de la population au Ghana : « Le nombre de mouvements et/ou d’organisations est en perpétuelle croissance, les médias et même le gouvernement commencent à prendre des initiatives pour conscientiser, mobiliser la population, les pousser à contribuer au renversement du changement climatique », rajoute Perk.

Au Soudan, le contexte politique est malheureusement différent. Depuis son indépendance en 1956, des tensions entre le Nord et Sud du pays entraînent les habitant·e·s dans une instabilité constante faite de guerres civiles, révolutions et coups d’État[5]RTBF, 2021.. Comme nous le rappelle Nisreen : « À cause des nombreux conflits au Soudan, les enjeux climatiques ne sont pas vraiment une priorité… Pire, ces conflits aggravent encore plus la situation, et personne ne s’y intéresse, personne ne prend la peine de comprendre ou de réfléchir aux problèmes que cela engendre sur la population. » En effet, les changements climatiques, multipliant les sécheresses et pluies diluviennes, exacerbent encore plus les tensions déjà existantes dans le pays. « Le Soudan est une terre concentrant une population d’indigènes nomades, de fermiers et d’éleveurs qui luttent pour l’utilisation des terres provoquant de nombreuses pertes de vies, de marchandises et bien plus », précise Nisreen. La raréfaction des ressources (en terres et en eau) intensifie donc ces conflits.

Nisreen reste cependant optimiste et constate, comme Perk, la multiplication des organisations travaillant sur les enjeux climatiques : « Depuis 2016[6]Suite à un accord de paix signé en 2015 après plus de deux ans de conflit et la mise en place d'un gouvernement transitoire., beaucoup de choses ont quand même changé. Par exemple, nous ne sommes plus la seule organisation de jeunes travaillant sur les enjeux climatiques, de nombreuses autres se sont créées. Il y a plus de personnes conscientes du problème, ces enjeux sont même intégrés dans les cursus universitaires. » Cependant, elle tempère : « Cette conscientisation reste dans la sphère des élites éduquées de la population et non dans les communautés les plus vulnérables. Nous n’avons malheureusement pas les ressources pour les atteindre. Nous espérions que les personnes sensibilisées allaient partager ce message auprès de leur communauté, mais je ne suis pas sûre que cela ait vraiment fonctionné… »

Nisreen

Pour plus de collaborations Nord/Sud

Pour finir, nos activistes ont tous les deux souligné l’importance des échanges et des collaborations entre les jeunes activistes au Sud et au Nord global. À l’heure actuelle, où l’urgence climatique est mondiale, les décisions politiques sur le climat au Nord global ont une influence sur le Sud global et vice-versa et, pour Perk, les actions des politiques des pays du Nord global ne vont pas dans le bon sens :  « Il s'agit de pays qui continuent à bénéficier des combustibles fossiles aux dépens des populations du Sud qui n'ont pas la capacité, le système en place, pour faire face aux dommages ou aux désastres causés par les inondations, les cyclones, la famine, la sécheresse extrême. C'est triste pour un jeune comme moi qui continue à voir cela et qui se surprend parfois à perdre espoir dans la survie du continent à cause de ce qui se passe actuellement. Je ne vois pas assez d'actions de la part du Nord global pour soutenir le Sud global à s'adapter et à être capable de se protéger contre le désastre du réchauffement climatique dont nous ne sommes même pas responsables ! »

Je ne vois pas assez d'actions de la part du Nord global pour soutenir le Sud global à s'adapter et à être capable de se protéger contre le désastre du réchauffement climatique dont nous ne sommes même pas responsables !

D’où l’importance de la mobilisation des jeunes issu·e·s du Nord global, qui a une influence sur les prises de décisions politiques sur le climat au Sud. En effet, comme nous le décrit Perk : « C’est important que les jeunes activistes du Nord global s’assurent qu’une partie des mesures, des soutiens des gouvernements du Nord en direction des pays africains dans la lutte contre les changements climatiques soient élaborés en collaboration avec la jeunesse des pays africains. Les jeunes ont le droit d’être impliqués dans les décisions puisque cela a et aura un impact direct sur eux, sur leur futur ! » Cette question de la transparence se retrouve aussi dans les luttes de Nisreen au Soudan : « C’est important de parler des défis que nous vivons en tant qu’activistes climatiques. Nombreux de ces défis viennent du fait que, pour la majeure partie de notre travail, la décision reste aux mains du gouvernement : c’est lui qui signe des accords internationaux, c’est donc lui que nous devons tenir pour responsable ! » D’où l’importance, au Sud comme au Nord, que celles et ceux au pouvoir rendent des comptes et que les citoyen·ne·s aient ce devoir de vigilance envers leurs autorités. « Quand les jeunes activistes au Nord global se mobilisent pour mettre la pression autour de ces enjeux, cela rend possible pour les jeunes activistes du Sud de pousser leurs gouvernements à implémenter de nouvelles mesures qui permettent de protéger le futur des jeunes, mais aussi de sauvegarder l’environnement », ajoute Perk avant de conclure : « Les actions autour du climat doivent être des actions collectives ! Il est donc plus que désirable que des jeunes du Nord global et du Sud global échangent et partagent leurs histoires, leurs expériences… Tout cela montrera que nous sommes sur la bonne voie pour renverser le changement climatique et réduire la pollution mondiale. »

Références

Références
1 Le concept de Nord/Sud global est utilisé pour décrire un groupe de pays selon des caractéristiques socio-économiques et politiques. Le Sud global comprend les pays du continent africain, d’Amérique latine, des Caraïbes et de certains pays d’Asie et d’Océanie caractérisés par un faible revenu en comparaison au Nord global comprenant les pays dits « développés » ou à moyen et haut revenus comme la majorité des pays européens, de l’Amérique du Nord, de l’Australie,…
2 Christopher Trisos dirige le Climate Risk Lab de l'African Climate and Development Initiative de l'Université du Cap, en Afrique du Sud et est responsable du chapitre consacré à l'Afrique dans le nouveau rapport.
3 Direction générale du Trésor, 2020.
4 Birol, 2021.
5 RTBF, 2021.
6 Suite à un accord de paix signé en 2015 après plus de deux ans de conflit et la mise en place d'un gouvernement transitoire.

Bibliographie

L'analyse en PDF

Retrouvez cette analyse dans le FOCUS 2023-2024, la revue de la FUCID, disponible en ligne et en format papier (gratuitement à la demande).
L'analyse est disponible en format PDF téléchargeable en cliquant ici.