© Jeanne Menjoulet via flickr

Face au tri migratoire, une politique cohérente et humaine est nécessaire

Centre d’Action Interculturelle

La guerre en Ukraine et l’afflux massif de migrant·e·s issu·e·s de ces régions ont démontré une chose : un accueil et une politique cohérente sur les migrations est possible. En effet, on ne peut que se réjouir et saluer les initiatives d’accueil et de solidarité envers les réfugiés ukrainiens, développées par l’Europe et plus particulièrement la Belgique. Néanmoins, une politique à deux vitesses en matière de migration est observable. Le Centre d’Action Interculturelle, dont la mission principale est l’accueil et l’accompagnement des personnes étrangères ou d’origine étrangère, met l’accent sur la nécessité de généraliser cette politique d’accueil pour mettre fin à des situations de précarité, voire de clandestinité.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les dirigeants politiques européens ont pris des mesures fortes, positives et responsables pour ouvrir leurs frontières, assouplir des procédures et organiser l’accueil de ces personnes qui fuient la guerre. Les citoyens ont aussi fait preuve d’un dévouement sans faille en organisant des collectes, des transports depuis la Pologne et en accueillant même des citoyens ukrainiens chez eux. Après une crise sanitaire et des inondations qui ont touché une grande partie de la population wallonne, cela faisait chaud au cœur de constater que tout se faisait sans se poser de question, presque « naturellement » oserait-on dire.

Cependant, cet élan positif est à tempérer quand on le met en exergue avec le reste des politiques d’accueil mises en place depuis 2015 et le conflit syrien forçant de nombreuses personnes à quitter leurs pays d’origine ;

  • Fermeture des frontières européennes et sous-traitance de la gestion des flux migratoires par des pays peu respectueux de la convention des droits humains ;
  • Des milliers de personnes mortes noyées en Mer méditerranéenne, renversées sur les routes ou encore asphyxiées dans des remorques de camion ;
  • Des hot spot en surcapacité dont les conditions de vie sont immondes, bien loin de la décence et de la dignité humaine[1]L’Obs, « "Hotspots", "centres d'enregistrement des migrants" : de quoi parle-t-on ? », https://www.nouvelobs.com/societe/20150907.OBS5387/hotspots-centres-d-enregistrement-des-migrants-de-quoi-parle-t-on.html ;
  • Le démantèlement du camp de fortune de Calais sans solutions de relogement et, avec elle, la migration de transit le long de l’E42 qui oblige celles et ceux qui veulent rejoindre l’Angleterre à dormir dans les bois et à tenter, à nouveau, un voyage au péril de leur vie ; une prise en compte insuffisante des droits fondamentaux de ces personnes par les politiques publiques laissant les citoyens quasi seuls face à la prise en charge de ces personnes.
  • La non régularisation de milliers de personnes sans papiers, qui n’ont accès à aucun droits fondamentaux ni à aucune protection sociale mais qui pourtant, contribuent à l’économie belge (1 % du PIB selon les estimations) et ce depuis plusieurs années.

L’élan citoyen et associatif était le seul à nager à contre-courant, avec la naissance d’initiatives citoyennes pour prendre en charge cet accueil, via la création de plateformes citoyennes notamment, des réfugiés syriens. L’État belge avait été condamné par la justice parce qu’il ne respectait pas ses engagements en termes d’accueil (et particulièrement envers les MENA, mineurs étrangers non accompagnés). Beaucoup de réfugiés et demandeurs d’asile, des familles avec enfants, se trouvaient dans les rues, à dormir à même le sol.

Accueil à deux vitesses : des arguments à questionner

Cette politique d’accueil à deux vitesses est légitimée, dans le discours des politiques, par différents arguments dont il convient de questionner la pertinence. Le premier de celui-ci serait la prétendue similarité culturelle entre les réfugiés ukrainiens et la population belge. Les réfugiés issus des autres vagues migratoires seraient ainsi à ce point différents, dans leurs us et coutumes, que cela rendrait leur intégration plus compliquée. À ce premier argument, il est possible de répondre que premièrement, les chocs culturels sont signalés par les associations de terrain, s’occupant de l’accueil des réfugiés et que ceux-ci sont aussi nombreux pour les populations ukrainiennes que pour les autres. De plus le parcours d’intégration, rendu obligatoire, permet de traiter ces chocs culturels et de rendre la cohabitation et le dialogue possible entre des personnes issues de communautés multiples. Au-delà de ça, des initiatives locales d’intégration fleurissent un peu partout en Belgique et renforcent encore ce processus. Il est donc erroné de penser que les personnes ukrainiennes s’intégreraient mieux ou que rien n’est fait, de manière générale, pour intégrer les personnes étrangères ou d’origine étrangère dans notre pays.

Un deuxième argument est celui de la proximité géographique, qui rendrait la Belgique davantage responsable de l’accueil de ces populations par rapport à d’autres, situées sur d’autres continents et dont la prise en charge incomberait aux pays limitrophes. C’est oublier les cas documentés de marchés aux esclaves, en Lybie notamment, dans lesquels se retrouvent piégés les réfugiés qui cherchent à fuir leurs pays[2]Amnesty International Belgique, « UE-Libye : Les images du marché aux esclaves témoignent du coût humain d’accords migratoires inexcusables », https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/libye-images-marche-esclaves-temoignent-cout-humain-accords. Que de telles pratiques se déroulent dans des pays avec lesquels l’Union européenne conclut des accords migratoires rend l’aveuglement de nos États d’autant plus criminel. C’est également oublier que la mer Méditerranée se transforme, chaque jour un peu plus, en un cimetière à ciel ouvert[3]Huffington Post, « En 2021, le nombre de migrants morts en Méditerranée en rejoignant l'Europe a doublé », https://www.huffingtonpost.fr/international/article/en-2021-le-nombre-de-migrants-morts-en-mediterranee-en-rejoignant-l-europe-a-double_195630.html. Enfin, c’est omettre que dans la Déclaration Universelle des Droits Humains en 1948, l’article 14 précise que chacun a le droit de chercher dans d’autres pays protection contre les poursuites et de jouir de ce droit. Restreindre l’accès à un territoire à des personnes dont le statut est reconnu par la législation, c’est donc bafouer un droit fondamental face auquel chacun est l’égal de l’autre, peu importe son lieu d’origine.

Pour une politique d’accueil forte !

Pour autant, il est important de souligner que le présent article ne vise pas à dénoncer l’accueil réservé aux Ukrainiens. Au contraire, nous soulignons le pas en avant que constitue cette nouvelle politique d’accueil et demandons à ce que celle-ci soit généralisée à l’ensemble des personnes qui aujourd’hui se voient vivre dans la clandestinité et le dénuement le plus total faute d’un statut légal qui tarde à venir. Cependant, il n’est pas non plus question de faire preuve d’angélisme et de croire que le travail d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère se fera tout seul. L’ensemble des associations de terrain qui travaille chaque jour à faire de cette intégration une réussite (via le parcours d’intégration qui comprend des cours de français, de citoyenneté et d’insertion socio-professionnelle mais également toutes les initiatives locales d’intégration) est conscient de ces efforts et demande à être soutenu dans son travail par les pouvoirs politiques. Ainsi, au vu de la situation socio-économique compliquée renforcée par la crise énergétique, il sera difficilement possible pour les bonnes volontés de se maintenir tout au long de l’hiver. L’accueil des réfugiés ne doit en effet pas être l’affaire de quelques collectifs citoyens mais doit pouvoir être pris en charge par l’ensemble de la société et donc de ses représentants politiques. C’est pour cela qu’aujourd’hui il est temps d’exiger des politiques d’accueil dignes pour tous.

Le réchauffement climatique et ses conséquences sur les populations vont accentuer encore les vagues migratoires que nous connaissons. Au plus vite les structures d’accueil seront correctement outillées pour y répondre, au mieux l’intégration et le vivre ensemble seront facilités. Partout dans le monde, il est possible d’observer des politiques réactionnaires qui cherchent à endiguer le flux de personnes aux frontières. Le bilan de ces politiques montre, premièrement, leur inefficacité et deuxièmement, les conséquences humanitaires désastreuses[4]Amnesty International France, « Aux États-Unis, des enfants enfermés dans des cages », https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/etats-unis-des-enfants-enfermes-dans-des-cages. Une politique d’accueil humaine qui accompagne les individus dans la société d’arrivée est au contraire profitable, tant économiquement et socialement. Loin des populismes politiques, les constats de terrain sont éloquents : nous devons stopper la politique à deux vitesses et mettre en place des politiques fortes et humaines.

 

Références

Références
1 L’Obs, « "Hotspots", "centres d'enregistrement des migrants" : de quoi parle-t-on ? », https://www.nouvelobs.com/societe/20150907.OBS5387/hotspots-centres-d-enregistrement-des-migrants-de-quoi-parle-t-on.html
2 Amnesty International Belgique, « UE-Libye : Les images du marché aux esclaves témoignent du coût humain d’accords migratoires inexcusables », https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/libye-images-marche-esclaves-temoignent-cout-humain-accords
3 Huffington Post, « En 2021, le nombre de migrants morts en Méditerranée en rejoignant l'Europe a doublé », https://www.huffingtonpost.fr/international/article/en-2021-le-nombre-de-migrants-morts-en-mediterranee-en-rejoignant-l-europe-a-double_195630.html
4 Amnesty International France, « Aux États-Unis, des enfants enfermés dans des cages », https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/etats-unis-des-enfants-enfermes-dans-des-cages

L'analyse en PDF

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