L’accès aux études, un droit pour tou·te·s ?

Partie 2 - Quelle place pour les personnes réfugiées à l’université ?

Alix Buron
Chargée de projets à la FUCID

Cette année encore, plus de 250.000 étudiant·e·s ont fait leur rentrée dans l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie Bruxelles – un chiffre qui ne cesse d’augmenter (Lhuillier, 2021). Pour beaucoup d’entre eux·elles, ces études sont la suite logique de leur parcours secondaire, le CESS étant le seul passe-droit nécessaire pour accéder à une université ou une haute école, couplé à un processus d’inscription relativement simple, parfois un examen d’entrée. Pourtant, pour beaucoup d’étudiant·e·s étranger·e·s, ayant obtenu leur diplôme d’études secondaires (et parfois supérieures) dans un autre pays que la Belgique, l’accès aux études en Belgique peut s’avérer un véritable parcours semé d’embuches.

(Vous avez déjà lu cette introduction dans le premier volet de notre analyse, « Frontières de papier : les enjeux de l'accès aux études pour les étudiant·e·s étranger·e·s » ? Passez directement au deuxième chapitre de cet article ! Sinon, ne manquez pas de la lire pour comprendre le contexte général derrière ces deux analyses, qui peuvent être lues indépendamment)

Le 18 septembre 2021, Junior Masudi Wasso arrive en Belgique afin d’étudier à l’UCLouvain. Il a obtenu un visa étudiant et s’est inscrit dans cette université après de longues démarches administres dans son pays natal, la République démocratique du Congo. Mais, alors même qu’il a tous les documents en main et a déjà payé les frais nécessaires à son inscription avant d’arriver en Belgique, il est arrêté lors d’un contrôle de la police aéroportuaire et placé dans le centre fermé de Steenokkerzeel, les policiers considérant le motif de son voyage comme étant suspect et les réponses de l’étudiant confuses (La Ligue de l’Enseignement, 2021). Il y restera 17 jours. Le ministère congolais des Affaires étrangères ainsi que l’UCLouvain auront dû intervenir pour qu’il soit autorisé à poursuivre ses études en Belgique et non renvoyé dans son pays.

Mansour est Syrien. Il étudiait la biochimie en Ukraine depuis quatre ans et a dû fuir à cause de l’invasion russe. Son moral est au plus bas : non seulement il doit faire une demande d’asile car il ne bénéficie pas d’un statut de protection temporaire comme les ressortissant·e·s ukrainien·ne·s, mais il ne sait pas quand il pourra continuer ses études (Muhoma-Mahoro et al., 2022). Il lui faudra en effet d’abord obtenir un statut de réfugié – s’il l’obtient – avant de pouvoir prétendre commencer les démarches pour finir sa scolarité en Belgique. Cela pourrait prendre des mois… ou des années.

Damia est une réfugiée syrienne qui habite aujourd’hui en Belgique. Elle avait déjà fait des études supérieures dans son pays, mais voudrait obtenir un diplôme de puéricultrice pour pouvoir travailler. Arrivée en Belgique, elle a dû attendre deux ans avant de pouvoir suivre des cours de français. Elle se retrouve ensuite confrontée aux difficultés administratives, au manque d’accès à l’information, rien n’étant facilement accessible via Internet. Si elle n’avait pas eu le soutien du CAI[1]Centre d’Action Interculturelle de la province de Namur. et de sa professeure de français, elle n’aurait pas su comment avoir accès à l’enseignement supérieur[2]Témoignage recueilli lors de l’événement « L’accès aux études, qu’importe d’où tu viens » organisé par le kot Amnesty International UNamur en collaboration avec la FUCID, le 28 mars 2022..

Trois exemples qui montrent, chacun à leur manière, la difficulté d’accès aux études supérieures en Belgique quand on n’est pas Européen ou Européenne. Ces réalités étant complexes, nous avons décidé de les explorer dans deux analyses distinctes. La première évoque la problématique des étudiant·e·s étranger·e·s, tandis que la seconde (celle que vous lisez actuellement) plongera dans la réalité des réfugié·e·s et demandeur·euse·s d’asile souhaitant étudier en Belgique. Chacune pouvant être lue indépendamment.

Réfugié·e·s en Belgique : un accès difficile à l’enseignement supérieur

En mars de cette année, le kot à projets Amnesty International de l’UNamur, en collaboration avec la FUCID, organisait une rencontre mêlant témoignages d’étudiant·e·s réfugié·e·s ou en processus de demande d’asile et souhaitant poursuivre leurs études supérieures, et réactions du député à la Fédération Wallonie-Bruxelles et membre de la commission de l’enseignement supérieur, de la jeunesse et des sports, Rodrigue Demeuse. Une soirée riche en échanges, afin d’entrevoir des solutions aux problèmes que peuvent rencontrer les réfugié·e·s pour entamer ou poursuivre un cursus universitaire, plus spécifiquement à l’Université de Namur.

Mahmoud, Manhad, Mohamed, Damia, Saïf et Sandra y racontaient leur parcours depuis la Syrie, le Salvador ou la Palestine. Des témoignages qui mettaient en lumière des difficultés qui s’additionnent jusqu’à, parfois, devenir un mur infranchissable lorsqu’on désire obtenir un diplôme supérieur en Belgique. Ont ainsi été évoqués la barrière de la langue (le niveau élevé de français nécessaire pour répondre aux exigences de l’enseignement supérieur), les discriminations racistes tout au long du parcours, qui s’ajoutent parfois aux difficultés liées à l’âge de l’étudiant·e s’il doit recommencer sa scolarité, les démarches administratives longues et souvent opaques où l’on trouve rarement des réponses à ses questions après une recherche Internet… alors que de plus en plus de services demandent que la procédure soit faite via ce medium. Et les travailleur·euse·s sociaux étant souvent mal outillé·e·s, la recherche d’informations repose encore largement sur la personne en demande, qui peut avoir la chance ou non de rencontrer quelqu’un qui connaît mieux le système et pourra la guider, que ce soit une professeure de Français Langue Étrangère ou l’employée d’une association (comme le CIRÉ[3]Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers (ASBL). ou le CAI).

Un point particulièrement sensible : les équivalences de diplôme – qu’il s’agisse du CESS ou de diplômes supérieurs obtenus dans le pays natal. Car non seulement les personnes en exil n’ont pas toujours pu se préparer et emporter des preuves de leurs diplômes, mais ce document ne leur garantit pas forcément l’obtention d’une équivalence complète. Cela les oblige parfois à recommencer à zéro une scolarité universitaire déjà entamée ou terminée dans le pays qu’elles ont dû quitter. Ces difficultés se conjuguent à une procédure particulièrement longue, les étudiant·e·s présent·e·s témoignant d’un délai de plus d’un an entre leur demande et la réception d’une forme d’équivalence. Sans compter que, pour introduire cette demande, il faut un statut de réfugié reconnu ou un autre statut légal (comme le statut de protection internationale pour les ressortissant·e·s ukrainien·ne·s[4]Grâce à ce statut spécifique, les étudiant·e·s ukrainien·ne·s ont pu suivre sans attendre une préparation en langue française ainsi que des cours universitaires en Anglais. Ce ne fut pas le cas pour les étudiant·e·s hors Europe qui étudiaient en Ukraine et qui ont également fui les … Continuer de lire )… ce qui, en Belgique, peut prendre entre 6 mois et 3 ans (Ahmad Yar, Jourdain, 2018). Cela retarde d’autant plus la possibilité d’intégrer l’université une fois le niveau de français suffisant, qui est souvent la première barrière à la poursuite des études. D’une part car le système de cours de Français Langue Étrangère travaille à flux tendu, avec des attentes possibles avant de pouvoir rejoindre une classe, par manque de professeur·e·s (cette situation étant encore accentuée par l’arrivée des réfugié·e·s ukrainien·ne·s (P.M., 2022)). D’autre part car les personnes réfugiées sont parfois orientées vers des écoles de français peu adaptées, surpeuplées et qui surchargent leurs étudiant·e·s de travail, ce qui entraîne un taux de redoublement important, y compris chez les personnes hautement diplômées (Ahmad Yar, Jourdain, 2018).

En regard des difficultés, des solutions sont évoquées tout au long de la soirée d’échanges : par exemple, avoir des informations plus détaillées sur le site Internet de l’Université de Namur, et ce en plusieurs langues, afin de pouvoir commencer les démarches au plus tôt sans devoir se reposer entièrement sur une personne qui connaît mieux le français ou les rouages de l’administration. Ou encore mettre en place plus de programmes d’études en cours du soir (pour que les personnes puissent étudier tout en travaillant) ; créer des systèmes de plainte clairement identifiés par rapport aux employeur·euse·s et maîtres de stage qui pratiquent des discriminations ; permettre l’octroi automatique d’une équivalence pour le niveau de diplôme inférieur à celui demandé afin de ne pas devoir recommencer depuis le début la procédure si l’équivalence demandée est refusée ; pouvoir commencer la procédure d’équivalence même quand le statut de réfugié n’est pas encore obtenu… mais également enseigner l’histoire de la colonisation et les migrations contemporaines dès le plus jeune âge, afin de sensibiliser les accueillant·e·s aux réalités migratoires.

En regard des difficultés, des solutions sont évoquées tout au long de la soirée d’échanges : par exemple, avoir des informations plus détaillées sur le site Internet de l’Université de Namur, et ce en plusieurs langues, afin de pouvoir commencer les démarches au plus tôt sans devoir se reposer entièrement sur une personne qui connaît mieux le français ou les rouages de l’administration. Ou encore mettre en place plus de programmes d’études en cours du soir (pour que les personnes puissent étudier tout en travaillant) ; créer des systèmes de plainte clairement identifiés par rapport aux employeur·euse·s et maîtres de stage qui pratiquent des discriminations ; permettre l’octroi automatique d’une équivalence pour le niveau de diplôme inférieur à celui demandé afin de ne pas devoir recommencer depuis le début la procédure si l’équivalence demandée est refusée ; pouvoir commencer la procédure d’équivalence même quand le statut de réfugié n’est pas encore obtenu… mais également enseigner l’histoire de la colonisation et les migrations contemporaines dès le plus jeune âge, afin de sensibiliser les accueillant·e·s aux réalités migratoires.

Hautes écoles et universités hospitalières

À travers ces propositions se dessine une vision plus holistique de l’accueil, qui permettrait d’enrichir l’aide actuellement proposée par les universités et hautes écoles belges déclarées « hospitalières »[5]Depuis 2017, citoyen·ne·s, villes et communes se sont lancé·e·s dans le mouvement « communes hospitalières », celles-ci s’engageant en faveur des personnes migrantes. Ce mouvement s’est élargi aux universités et hautes écoles et la FUCID s’y est impliquée avec de nombreuses ONG, … Continuer de lire et qui comprend la gratuité pour certaines démarches administratives, la possibilité de suivre des cours de Français Langue Étrangère ou la création de pages web dédiées aux personnes réfugiées. Certaines universités proposent également une aide administrative, des préparations méthodologiques, des systèmes de mentorat avec des étudiant·e·s belges, ou encore un soutien psychologique [6]L’UNamur, quant à elle, s’illustre dans l’accompagnement de démarches administratives, l’accès à des logements de transit, des cours de Français Langue Étrangère organisés depuis 2015 en partenariat avec l’Henallux ou encore la gratuité pour les examens d’admission et de … Continuer de lire.

En dehors de la Belgique, il existe également des programmes européens particulièrement innovants qui pourraient servir d’inspiration. L’Université ouverte de Kiron à Berlin, par exemple, permet de suivre des formations diplômantes en Anglais dans des domaines confrontés à une pénurie de main-d’œuvre, tandis que l’université allemande d’Erlangen Nuremberg a mis en place des stages pour demandeur·euse·s d’asile qualifié·e·s dans une entreprise qui finance des programmes de formation continue dans l’université (Degée, Abouhafes et Manço, 2020).

Un problème commun, cependant : l’accessibilité restreinte de ces programmes qui reposent bien souvent sur des financements participatifs ou des bourses d’études qui ne concernent qu’un petit nombre de personnes chaque année. La Vrije Universiteit Brussel, par exemple, qui propose un accompagnement particulièrement complet, n’accepte que vingt candidat·e·s par an (Idem). Dans son article publié dans l’ouvrage « Une décennie d’exil syrien : présences et inclusion en Europe », la chercheuse Sarah Degée pointe pourtant le besoin général d’un encadrement plus poussé, avec des programmes préparatoires permettant de familiariser les étudiants et étudiantes à une culture universitaire différente de celle de leurs pays d’origines et une aide à la fois administrative, psychologique, matérielle et de guidance académique (2021, p.183).

Car entrer dans un cursus universitaire n’est pas tout : une fois admis·e·s, les étudiant·e·s doivent bien souvent faire face à une certaine solitude et une difficulté d’intégration qui peuvent avoir des impacts importants sur la scolarité. À cela s’ajoutent les freins de l’incertitude de leur parcours d’asile, l’imprévisibilité des procédures qui empêche de se projeter dans l’avenir, le stress d’un titre de séjour limité dans le temps, le manque de ressources financières… qui montrent l’étendue des difficultés qui peuvent affecter ces étudiants. L’hospitalité des Hautes Ecoles et universités ne doit donc pas s’arrêter à l’étape de l’inscription : les étudiant·e·s réfugié·e·s ont en effet besoin d’un accompagnement tout au long de leur parcours au sein de l’établissement.

Car entrer dans un cursus universitaire n’est pas tout : une fois admis·e·s, les étudiant·e·s doivent bien souvent faire face à une certaine solitude et une difficulté d’intégration qui peuvent avoir des impacts importants sur la scolarité [7]Difficulté d’obtenir des notes de cours, d’être intégré·e pour les travaux de groupes, manque de confiance en soi et motivation, confrontation à des préjugés…. À cela s’ajoutent les freins de l’incertitude de leur parcours d’asile, l’imprévisibilité des procédures qui empêche de se projeter dans l’avenir, le stress d’un titre de séjour limité dans le temps, le manque de ressources financières… qui montrent l’étendue des difficultés qui peuvent affecter ces étudiants. L’hospitalité des Hautes Ecoles et universités ne doit donc pas s’arrêter à l’étape de l’inscription : les étudiant·e·s réfugié·e·s ont en effet besoin d’un accompagnement tout au long de leur parcours au sein de l’établissement.

Des barrières dressées, qui maintiennent les inégalités

Actuellement, seulement 3% des personnes réfugiées dans le monde, de la tranche d’âge 19-23 ans, ont accès à un enseignement postsecondaire – la moyenne mondiale (comprenant donc les personnes non-réfugiées) étant de 37% (UNHCR(a)). Dans l’Union européenne et en Amérique du Nord, ce chiffre passe même à 75% (Degée, 2020, p.177). Il ne s’agit pas là d’un manque de volonté de la part des personnes réfugiées : « chez ceux qui sont parvenus à se frayer un chemin parmi les nombreux et redoutables écueils et qui ont terminé leurs études secondaires, la demande de diplômes, d’enseignement connecté et de programmes de formation professionnelle reste élevée » mais souvent insatisfaite (UNHCR(b)).

Ce fossé entre diplômé·e·s et non diplômé·e·s se creuse déjà pour les personnes réfugiées qui intégrèrent un cursus belge pendant les années secondaires. Même si elles étaient considérées comme de bons élèves dans leur pays d’origine, elles doivent rapidement s’adapter à une nouvelle culture éducative, une nouvelle langue et un marché de l’enseignement souvent opaque. Des jeunes Syrien·ne·s entre 16 et 19 ans ont ainsi témoigné auprès de la chercheuse et enseignante Elodie Oger du rôle crucial de l’aide apportée par leurs professeurs et leurs camarades de classe afin qu’ils ne renoncent pas à leurs ambitions face à une disqualification scolaire (2021, pp.165-171). En conséquence, « malgré les mesures prises ces dernières années en vue d’aider les jeunes immigrés à intégrer l’enseignement de la FWB, l’on observe chez ces derniers – même lorsqu’ils sont présents en Belgique depuis plusieurs années – des résultats scolaires largement inférieurs à ceux des élèves natifs, ainsi qu’un abandon scolaire plus fréquent. Ils sont aussi plus nombreux à intégrer les filières les moins valorisées du système scolaire » (Ibid., p.155).

Pour les autres, qui arrivent avec un diplôme en poche – secondaire ou d’enseignement supérieur – les freins pratiques sont nombreux, conjugués à une volonté de l’État de leur faire rejoindre le marché du travail le plus rapidement possible. Comme l’explique Rix Depasse, du CIRÉ ASBL, pour un·e réfugié·e, « sa priorité, bien avant de pouvoir penser à des études dans le supérieur, sera de comprendre comment introduire une demande de revenu d’intégration sociale. Pour l’obtenir, il est tenu de présenter un projet expliquant comment il compte gagner sa vie et devenir autonome financièrement. Et les CPAS préfèrent des objectifs à court terme menant directement à un emploi. Pour qu’un projet d’études à long terme soit accepté, il faut que le futur étudiant puisse vraiment argumenter, démontrer ses chances de succès, et qu’il s’engage à trouver un job pour contribuer au coût de ses études » (cité par Lovenfosse, 2017).

Pourtant, un diplôme supérieur est souvent le seul moyen pour les personnes réfugiées de retrouver un niveau de vie approchant celui qu’elles avaient chez elles[8]On oublie souvent que beaucoup de personnes réfugiées – ou migrantes en général – en Europe sont issues des classes moyennes et supérieures de leur pays. Notamment car le voyage nécessite un certain capital économique.. Il s’agit également d’une manière pour elles de regagner une puissance d’agir, après un parcours au cours duquel elles ont trop souvent été placées dans une position de subordination face aux institutions étatiques et une dépendance économique qui peut être mal vécue : subordination, car c’est le pays d’accueil qui décide qui peut entrer ou non, selon des critères souvent arbitraires, qui confisque leur passeport d’origine et restreint leur mobilité (Sasia, 2018). Il s’agit également d’une manière de « se défaire du statut d’objet de discours pour réintégrer celui de sujet », alors qu’elles ont pendant longtemps été confrontées à la pitié ou aux préjugés (Degée, 2021, p.194). Finalement, ces études supérieures leur permettent également de participer à la reconstruction du pays quitté, un désir qui se retrouve dans les discours de beaucoup de jeunes réfugié·e·s (Ibid., p.177).

En attendant, une multitude d’inégalités (sociales, origines ethniques, statut administratif) marquent profondément les trajectoires des personnes réfugiées, appauvries ou rendues vulnérables par une série de causalités (sociales, environnementales, politiques, économiques,…), mais dont l’origine est commune : l’endettement. L’endettement de leur pays natal, lourdement impacté par des siècles de colonialisme, des politiques néolibérales d’austérité imposées par les pays du Nord et les institutions financières internationales, et qui crée instabilité et pauvreté (Carton, Fabart, 2021). L’endettement individuel des personnes migrantes, dont le prix de l’exil augmente chaque fois que les politiques migratoires se durcissent, sans pour autant dissuader. Endettement qui augmente encore dans le pays d’accueil, face à des difficultés administratives et financières causées par des politiques toujours plus restrictives en matière d’immigration (Idem). C’est en comprenant cette cause première des migrations, largement mise en valeur par des associations comme le CADTM, que l’on peut situer la problématique de l’accès aux études dans une perspective systémique et percevoir comment les frontières et les politiques migratoires peuvent maintenir en place violences et dominations.

En attendant, une multitude d’inégalités (origines ethniques, statut administratif et socio-économique) marquent profondément les trajectoires des personnes réfugiées, appauvries ou rendues vulnérables par une série de causalités (sociales, environnementales, politiques, économiques,…), mais dont l’origine est commune : l’endettement. L’endettement de leur pays natal, lourdement impacté par des siècles de colonialisme, des politiques néolibérales d’austérité imposées par les pays du Nord et les institutions financières internationales, et qui crée instabilité et pauvreté (Carton, Fabart, 2021). L’endettement individuel des personnes migrantes, dont le prix de l’exil augmente chaque fois que les politiques migratoires se durcissent, sans pour autant dissuader. Endettement qui augmente encore dans le pays d’accueil, face à des difficultés administratives et financières causées par des politiques toujours plus restrictives en matière d’immigration (Idem). C’est en comprenant cette cause première des migrations, largement mise en valeur par des associations comme le CADTM, que l’on peut situer la problématique de l’accès aux études dans une perspective systémique et percevoir comment les frontières et les politiques migratoires peuvent maintenir en place violences et dominations.

Il ne s’agit donc pas de se contenter de l’aide apportée par les universités, certes absolument indispensable et qu’il faut continuer d’améliorer, mais qui repose encore beaucoup sur des volontés individuelles, mais bien d’aller au-delà pour que l’accès aux études devienne un droit véritable. Comme le plaide la Motion Université Hospitalière, il s’agit non seulement d’accompagner les personnes migrantes dans nos pays qui souhaitent aller à l’université, mais également de soutenir des étudiant·e·s et chercheur·eurse·s vivant dans des camps de réfugiés et qui souhaitent obtenir un visa humanitaire afin de poursuivre leurs études[9]Ou encore de mettre en place des formations diplômantes dans les camps de réfugiés même, comme le fait l’Université canadienne de York grâce à un laboratoire à distance, auprès d’une soixantaine de personnes (UNHCR(b)).. Car l’immense majorité des réfugié·e·s ne trouvent non pas un accueil en Europe (qui devient un refuge pour seulement 14% d’entre eux·elles) mais bien en Asie et en Afrique, et dans des conditions souvent précaires[10]En 2019, une poignée de pays seulement (Turquie, Colombie, Pakistan, Ouganda) accueillait ainsi un tiers des réfugiés, alors qu’ils ne représentent que 1,6% de l’économie mondiale (Carton, Fabart, 2021). (Unicef, 2020). Il s’agit également, plus généralement, de soutenir des associations ou collectifs qui plaident auprès des gouvernements ou qui luttent, action après action, pour la réductions les inégalités afin que toute personne puisse vivre décemment où elle le souhaite, pour permettre des voies d’accès légales et sûres à la migration, et pour mettre en place des dispositifs d’accueil qui donnent les mêmes chances qu’aux nationaux au lieu de maintenir structurellement des conditions de précarité liées à la migration.

Références

Références
1 Centre d’Action Interculturelle de la province de Namur.
2 Témoignage recueilli lors de l’événement « L’accès aux études, qu’importe d’où tu viens » organisé par le kot Amnesty International UNamur en collaboration avec la FUCID, le 28 mars 2022.
3 Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers (ASBL).
4 Grâce à ce statut spécifique, les étudiant·e·s ukrainien·ne·s ont pu suivre sans attendre une préparation en langue française ainsi que des cours universitaires en Anglais. Ce ne fut pas le cas pour les étudiant·e·s hors Europe qui étudiaient en Ukraine et qui ont également fui les assauts russes : ces derniers doivent passer par une procédure d’admission plus longue (Muhoma-Mahoro et al., 2022). Espérons que cette mobilisation unique pour la poursuite rapide des études des personnes ukrainiennes deviendra un exemple pour l’accueil de tou·te·s les réfugié·e·s.
5 Depuis 2017, citoyen·ne·s, villes et communes se sont lancé·e·s dans le mouvement « communes hospitalières », celles-ci s’engageant en faveur des personnes migrantes. Ce mouvement s’est élargi aux universités et hautes écoles et la FUCID s’y est impliquée avec de nombreuses ONG, syndicats et citoyen·ne·s. L’UNamur a signé la motion « université hospitalière » en 2018 (un texte qui engage les signataires à améliorer les conditions des personnes migrantes), dans la continuité d’actions de solidarité mises en place par l’université depuis 2015 envers les personnes réfugiées.
6 L’UNamur, quant à elle, s’illustre dans l’accompagnement de démarches administratives, l’accès à des logements de transit, des cours de Français Langue Étrangère organisés depuis 2015 en partenariat avec l’Henallux ou encore la gratuité pour les examens d’admission et de maîtrise du français. Plus d’information dans le FOCUS de la FUCID publié en 2018 sur les universités et hautes écoles hospitalières : https://www.fucid.be/wp-content/uploads/2018/05/FOCMIG_web.pdf
7 Difficulté d’obtenir des notes de cours, d’être intégré·e pour les travaux de groupes, manque de confiance en soi et motivation, confrontation à des préjugés…
8 On oublie souvent que beaucoup de personnes réfugiées – ou migrantes en général – en Europe sont issues des classes moyennes et supérieures de leur pays. Notamment car le voyage nécessite un certain capital économique.
9 Ou encore de mettre en place des formations diplômantes dans les camps de réfugiés même, comme le fait l’Université canadienne de York grâce à un laboratoire à distance, auprès d’une soixantaine de personnes (UNHCR(b)).
10 En 2019, une poignée de pays seulement (Turquie, Colombie, Pakistan, Ouganda) accueillait ainsi un tiers des réfugiés, alors qu’ils ne représentent que 1,6% de l’économie mondiale (Carton, Fabart, 2021).

Bibliographie
  • Ahmad Yar Ahmad Wali et Jourdain Morgane, 2018, « L’enseignement des langues en Belgique : une enquête auprès de différentes catégories de migrants », De Boeck Université, Le Langage et l'Homme, Vol. 53, pp. 19 – 34, https://limo.libis.be/primo-explore/fulldisplay?docid=LIRIAS2363646&context=L&vid=Lirias&search_scope=Lirias&tab=default_tab&fromSitemap=1
  • Carton Anaïs, Fabart Alain, « Dettes et migrations contraintes : l’étroite imbrication entre exil forcé et domination subie par l’endettement », CADTM, https://www.cadtm.org/Dettes-et-migrations-contraintes-l-etroite-imbrication-entre-exil-force-et
  • Degée Sarah, 2021, « Être réfugié syrien et étudier : parcours et dispositifs au sein de l’enseignement supérieur », pp.155-176, dans Une décénie d’exil syrien : présences et inclusion en Europe, Degée et Manço (dir.)
  • Degée Sarah, Abouhafes Karim, Manço Altay, 2020, « Mobilisation des milieux académiques belges pour les étudiants réfugiés », IRFAM : Liège, https://irfam.org/wp-content/uploads/etudes/Analyse132020.pdf
  • La Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente asbl, 4 octobre 2021, « Junior Masudi Wasso enfermé pour rien », https://ligue-enseignement.be/junior-masudi-wasso-enferme-pour-rien/
  • Lhuillier Vanessa, 14 septembre 2021, « Les étudiants n’ont jamais été aussi nombreux à s’inscrire dans le supérieur », Bx1, https://bx1.be/categories/news/les-etudiants-nont-jamais-ete-aussi-nombreux-a-sinscrire-dans-le-superieur/
  • Lovenfosse Marie-Noëlle, juin 2017, « Migrants/réfugiés : Quel accès dans l’enseignement supérieur ? », Entrées libres, n°120, http://www.entrees-libres.be/wp-content/uploads/2017/06/120_juin2017.pdf
  • Muhoma-Mahoro Clovis, Février Pauline, Bérard Antoine et Witmeur Emilie, 20 avril 2022, « D’Ukraine en Belgique : un accueil à double vitesse pour les étudiants réfugiés », Journalisme ULB, https://journalisme.ulb.ac.be/longform/dukraine-en-belgique-un-accueil-a-double-vitesse-pour-les-etudiants-refugies/
  • Oger Elodie, 2021, « Trajectoires d’élèves syriens dans l’enseignement belge francophone : retour réflexif sur les parcours scolaires », pp.155-173, dans Une décénie d’exil syrien : présences et inclusion en Europe, Degée et Manço (dir.)
  • P.M., 12 mai 2022, « Bruxelles : Difficile de trouver des places dans les cours de français en promotion sociale », RTBF, https://www.rtbf.be/article/bruxelles-difficile-de-trouver-des-places-dans-les-cours-de-francais-en-promotion-sociale-10991839
  • Sasia Julie, 2018, « Être étudiant et réfugié, la catégorisation à l’épreuve des mobilités et des politiques d’accueil », Migrations Société, n°174, pp.75-89, https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2018-4-page-75.htm
  • UNHCR(a) (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), « Enseignement supérieur », https://www.unhcr.org/fr/enseignement-superieur.html
  • UNHCR(b) (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), « Chapitre 3 : l’enseignement supérieur hors de portée », https://www.unhcr.org/steppingup/fr/tertiary-education-out-of-reach/
  • Unicef, 2020, « Les enfants migrants et réfugiés en Belgique prennent la parole », 120 pages, https://www.unicef.be/sites/default/files/2020-09/Les%20enfants%20migrants%20et%20r%C3%A9fugies%20en%20Belgique%20prennent%20la%20parole.pdf

L'analyse en PDF

 L'analyse est disponible en format PDF téléchargeable en cliquant ici.