L’écriture Inclusive est-elle vraiment inclusive ?

par Anne-Sophie Tirmarche 
Chargée de projet à la FUCID

En 2017, face à l’utilisation de plus en plus répandue de l’écriture inclusive, dans un style catastrophiste qui prête à sourire, l’Académie française tire la sonnette d’alarme, assurant que la langue française se trouve en « péril mortel ». Si la féminisation d’une langue profondément sexiste – « le masculin l’emporte sur le féminin » –  s’est attiré les foudres d’une institution qui l’est tout autant, elle a néanmoins été accueillie à bras ouverts par le milieu associatif. Aujourd’hui, de nombreuses associations y ont recours dans leurs communications.

Dans un contexte que l’on sait bien souvent réfractaire au féminisme, les défenseur·e·s de l’écriture inclusive, parmi lesquel·le·s les acteur·rice·s associatif·ve·s, ont, en toute logique, présenté les arguments favorables à cette initiative et tu les zones d’ombre. Ce sont précisément les zones d’ombre que cette analyse s’attèle à explorer.

L’écriture inclusive est-elle réellement… inclusive ? Et quelles femmes est-elle censée inclure ? Dans les années 70, les Black feminists ont mis les féministes occidentales en garde contre les généralisations abusives : le groupe « femmes », traversé notamment par des rapports de classe, et de « race », est loin d’être homogène. Par ailleurs, une écriture qui fixe la binarité des genres masculin et féminin n’exclut-elle pas les personnes transgenres ? Comment le milieu associatif, sensible à la fois aux questions de genre et de diversité, peut-il se saisir de ces enjeux et adopter une communication féministe sans tomber dans l’écueil universaliste ni ignorer la philosophie queer ?

Cette analyse « linguistico-philosophique » s’organise en deux étapes : une critique endogène de l’écriture inclusive (dans son principe d’immanence linguistique, c’est-à-dire indépendamment de la situation de communication), suivie d’une critique exogène (qui tient compte de l’énoncé et l’énonciation). Elle propose ensuite une piste de réflexion sur l’articulation entre cette arme et le reste de l’arsenal féministe, susceptible de contrebalancer les effets pervers de l’écriture inclusive.

Critique endogène

L’écriture inclusive frise l’anti-intersectionnalité

Une réaction au sexisme de la langue s’imposait. L’écriture inclusive présente l’avantage de donner une plus grande visibilité aux femmes et de changer les représentations – une étude a montré que la confiance en soi des élèves augmentait quand les professions étaient présentées avec la marque du genre féminin[1].

En réaction à la prétendue neutralité et universalité du masculin, l’écriture inclusive oppose ainsi un féminin censé représenter toutes les femmes. Mais qui est le « Nous, les femmes » qu’elle entend rendre visible ? L’écriture inclusive ravive des tensions internes aux mouvements féministes qui ne datent pas d’hier. Il y a une cinquantaine d’années, en dénonçant le fait que « tous les hommes sont noirs et toutes les femmes sont blanches », les Black feminists ont mis en exergue l’inadéquation des catégories homogénéisantes du masculin et du féminin pour lire le monde. Dans le geste politique d’apposer la marque du féminin comme s’il s’agissait d’une catégorie homogène, les défenseuse·r·s de l’écriture inclusive ne reproduisent-elles·ils pas la même prétention à l’universalité que leurs consoeur·frères·s blanches·c·s des années 60-70 ?

L’argument des « obstacles pratiques d’écriture, de lecture »[2] est irrecevable de la part de l’Académie française – il est difficile de ne pas voir dans la réaction de cette institution composée quasi-exclusivement d’hommes conservateurs une résistance à l’évolution vers une société plus égalitaire plus qu’un purisme linguistique, une opposition au signifié plus qu’au signifiant. On leur proposerait volontiers de féminiser toute la langue pour éviter qu’un point médian (·) n’entrave leur lecture. Ou plutôt, on leur proposerait volontiers une langue qui, neutre, s’accorderait au féminin.

La question de l’illisibilité se pose toutefois différemment face à un public de femmes analphabètes et/ou issues de l’immigration, qui maitriseraient peu le français et se battraient encore plus chaque jour avec les papiers administratifs si l’écriture inclusive y était systématiquement appliquée. Or, l’initiative est censée les visibiliser elles aussi. Interpellée à ce sujet, l’association Lire et Ecrire n’a pas souhaité se prononcer, arguant que l’écriture inclusive était éloignée des préoccupations de son public. Anecdote révélatrice d’un décalage entre les promesses d’inclusion de cette forme d’écriture et la marginalisation des minorités. Désillusion d’autant plus ironique que deux tiers des personnes analphabètes dans le monde sont… des femmes.

L’écriture inclusive tente ainsi de redonner naissance à une catégorie « femmes » homogène. Elle lutte comme elle peut contre un système de domination, mais occulte les différences de classe et de « race ». Les critiques anti-essentialistes, à travers lesquelles les Black feminists « mettent doublement en cause le féminisme blanc : parce qu’il s’est construit sur leur absence, et parce qu’il parle en leur nom »[3], la guettent. La philosophe féministe Judith Butler déplore que cet exercice de représentation tronqué puisse avoir pour conséquence possible l’exclusion. L’exclusion : un comble pour une écriture qui se veut inclusive…

Loin de la contester, l’écriture inclusive fixe la binarité hommes-femmes

Comme le disait la romancière et théoricienne féministe Monique Wittig,

« Les discours qui nous oppriment tout particulièrement nous lesbiennes féministes et hommes homosexuels et qui prennent pour acquis que ce qui fonde la société, toute société, c’est l’hétérosexualité, ces discours nous nient toute possibilité de créer nos propres catégories, ils nous empêchent de parler sinon dans leurs termes et tout ce qui les remet en question est aussitôt méconnu comme « primaire » »[4].

Ainsi les catégories propres à la pensée straight telles que « homme » et « femme », et la relation hétérosexuelle qui est censée les lier naturellement, enferment-elles dans un carcan celles et ceux qui ne s’y reconnaissent pas. La binarité masculin-féminin règne sur la langue et l’écriture inclusive ne la conteste pas, au contraire : elle la rend plus visible.

Monique Wittig met également en lumière l’effet universaliste de l’utilisation de déterminants articles définis qui, appliqués aux concepts de la pensée straight, inhibent toute possibilité d’échappatoire. Nulle remise en question, de la part de l’écriture inclusive, des expressions essentialistes « Les femmes » ou « la différence des sexes ». Sceptique face à la féminisation de la langue, Monique Wittig plaide pour l’abolition des genres grammaticaux ; en effet, la dualité ne peut être que hiérarchique. Elle écarte ainsi la féminisation de la langue comme alternative et, dans l’illusion de la réinvestir de sa neutralité originelle, la théoricienne opte pour la forme masculine (la romancière expérimentera néanmoins la forme féminine).

Gommer les différences n’est néanmoins pas sans risque et Françoise Collin en a pointé les dangers. Aussi déclarait-elle : « « Femmes » continue pour moi à faire sens – un sens ouvert – et je me méfie d’un effacement prématuré de la frontière des sexes, d’une « indifférence » supposée qui se ferait au profit de la position dominante. »[5]. Renoncer à la représentativité du féminin dans le monde gommerait alors les formes de domination. Quelle alternative pouvons-nous imaginer à la binarité excluante masculin-féminin ?

À travers la dualité masculin-féminin, la pensée dominante réifie les groupes et impose des catégories. Et recourir à ces catégories qui taisent leur historicité pour comprendre la domination et penser l’émancipation des femmes conduit à une impasse : loin de se laisser duper par la ruse de la raison hégémonique, les féministes doivent réinventer leurs propres outils d’analyse.

Pour Judith Butler, il s’agit de se réapproprier les catégories de domination et de les subvertir. Une proposition certes moins radicale que celle de Paul Giroy – selon le sociologue, redéfinir les catégories ne suffit pas et seule la création de catégories inédites peut conduire à l’émancipation des groupes opprimés – mais sans doute plus réaliste pour qui entend l’appliquer à l’écriture inclusive. En effet, abolir la distinction masculin-féminin de la langue reviendrait à créer une nouvelle langue ex nihilo… ou à compter sur l’adoption et l’apprentissage, par tou·te·s, des langues hongro-finnoises, dépourvues de genres grammaticaux.

Trouble dans le genre grammatical

De quel(s) féminisme(s) l’écriture inclusive relève-t-elle ? Pour répondre à la question, il faut revenir sur l’un des points de tension au sein du féminisme, ou plutôt des féminismes. D’un côté, le mouvement queer, qui proteste contre les identités fondées sur le sexe et s’élève contre l’essentialisation du genre ; de l’autre, des féministes, notamment matérialistes, sensibles à l’existence d’une identité politique collective « femmes ».

Si l’écriture inclusive, à travers la féminisation de l’écriture et la revendication d’une reconnaissance de la catégorie « femmes », peut être rattachée au féminisme matérialiste, elle pourrait aller beaucoup plus loin dans la subversion en s’inspirant du féminisme postmoderne, qui tend à déconstruire les catégories.

En effet, une distinction s’impose ici entre l’usage de suffixes féminins visant à préciser le sexe d’une personne et le genre grammatical, marqué par l’accord de l’adjectif. L’écriture inclusive conteste l’absence de suffixe de dérivation, mais ignore le genre grammatical des substantifs. Or, l’introduction de particules féminisantes n’exclut pas d’autres formes de contestation plus radicales : comme Judith Butler jetait le trouble dans le genre, l’écriture inclusive pourrait mettre du trouble dans le genre grammatical. Afin de nous figurer le pouvoir subversif d’une telle pratique, appliquons-la au slogan anti-mariage pour tous : « Un papa, une maman » devient alors « Une papa, un maman ». De quoi donner de l’eczéma à Frigide Barjot…

Je reviens à la question qui nous occupe : « l’écriture inclusive est-elle vraiment inclusive  ? ». Intégrer, selon les opportunités, à la fois la féminisation des noms et pronoms et la subversion du genre grammatical, à défaut de transcender les conflits internes au féminisme, assure au moins la représentativité d’un plus large public. Ainsi les personnes transgenres, que la polarisation inhérente à l’écriture inclusive exclut actuellement des représentations, pourraient-elles trouver dans la subversion du genre grammatical un subterfuge plus adapté à leurs discours.

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[1] Chatard, A., Guimond, S. et Martinot, D. (2005). Impact de la féminisation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves : une remise en cause de l’universalisme masculin ? L’Année Psychologique, 105,(2), 249-272.

[2] http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive, consultée le 14/01/18

[3] Crenshaw, K. (2005). Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur. Cahiers du Genre, 39,(2), 51-82, p. 75

[4] Wittig, M. (1980). LA PENSÉE STRAIGHT. Questions Féministes, (7), 45-53, p. 48.

[5] (2001). Entretien avec Françoise Collin. Philosophe et intellectuelle féministe. Clio, 13,(1), p. 8.

Critique exogène

Pour une approche plus holistique de l’écriture inclusive, il convient de s’interroger non seulement sur la langue elle-même, mais aussi sur le contexte dans lequel elle est énoncée. Ainsi, l’écriture non sexiste est souvent envisagée comme « une arme massive de visibilité pour les femmes » (Brigitte Grésy, citée dans Libération). Mais si elle tombe entre de mauvaises mains, l’arme ne peut-elle se retourner contre les féministes ?

Pour quels énoncés et quel·le·s énonçant·e·s ?

Qu’il s’agisse de la médecine, des sciences économiques, de la psychanalyse, du droit, de la littérature ou encore de la philosophie, les féministes ont révélé depuis longtemps le biais androcentrique des sciences. Celles-ci ont souvent été produites par les hommes et la langue est au service de leur gloire. Aussi la prudence est-elle de mise face aux discours des institutions académiques, politiques, économiques ou encore judiciaires conçus à travers le prisme déformant de l’androcentrisme.

L’écriture inclusive donne le sentiment aux lectrices·eur·s d’entrer dans un havre de paix : elles·ils se trouveraient en lieu sûr et pourraient baisser la garde. Mais les féministes ont-elles·ils réellement le monopole de l’écriture inclusive ? Les sympathisant·e·s qui ont recours à l’écriture inclusive mesurent-elles·ils l’ampleur du biais androcentrique dans les discours dominants ? Or, apposer une marque féministe à ces discours peut occulter la nature patriarcale de son processus de fabrication et, par là même, rendre le biais androcentrique d’autant plus invisible et pervers. Alors que les débats s’articulent autour du purisme linguistique (lui-même prétexte au conservatisme sociétal), ils portent rarement sur les conditions d’énonciation : qui utilise l’écriture inclusive et pour dire quoi ? Si ce type d’écriture parvient à s’imposer comme un label féministe, à quels énoncés doit-il s’appliquer ? Ambitionne-t-il de devenir la norme qui se substituerait en toutes circonstances au masculin prétendu neutre ?

Prenons des propos masculinistes et tentons l’exercice nauséabond d’y appliquer l’écriture inclusive. Les considérations de l’idéologue raciste et misogyne Alain Soral deviennent alors : « Si rétrospectivement on est sûr·E qu’il y a eu viol quand la femme dit “non” jusqu’au bout, dans certaines situations ambiguës il n’est pas toujours évident de déterminer le moment où le “non” (…) cesse d’être un “oui” qui joue à se faire prier » (extrait de Sociologie du dragueur, cité sur le blog Ladies Room). L’application d’un mode d’écriture féministe à un discours anti-féministe, aux antipodes de la règle de base du consentement « Quand je dis non, c’est non », crée alors une dissonance particulièrement éprouvante.

S’il parait assez évident que l’écriture inclusive ne doit valoir que pour des énoncés anti-sexistes, anti-misogynes, anti-patriarcaux… comment s’assurer qu’elle ne soit pas utilisée à mauvais escient, induisant un décalage trompeur et piégeux entre l’intention et l’effet ?

Genrer ce qui est visible et visibiliser ce qui est genré

Une réappropriation féministe de la langue passe par la féminisation non seulement du contenant, mais aussi du contenu. Autrement dit, c’est une chose de genrer ce qui est visible, encore faut-il visibiliser ce qui est genré. Ainsi les féministes s’évertuent-elles·ils à braquer les projecteurs sur le travail de care, les violences conjugales ou encore le viol. Autant de signes d’oppression des femmes que la société patriarcale ne voulait voir et maintenait dans la dénégation. Comme toujours, le changement ne s’est pas opéré spontanément : des militant·e·s ont œuvré activement pour que ces problèmes soient reconnus. Plus récemment, les hashtags #MeToo et #Balancetonporc ont libéré la parole des victimes d’agressions et de harcèlement sexuel sur les réseaux sociaux et contribué à ce que, petit à petit, la honte change de camp.

L’écriture inclusive ne prétend pas se suffire à elle-même pour enrayer les inégalités hommes-femmes. Elle s’associe à la libération de la parole, au combat pour que les multiples formes d’oppressions cantonnées au privé soient reconnues comme des problèmes de société, contre lesquels il convient de prendre des mesures.

De même, l’écriture inclusive ne se substitue pas aux autres combats féministes, mais vient les appuyer quand l’opportunité se présente. Les féministes se réfèrent alors à leur arsenal et optent pour l’arme la plus adaptée à la cible : à l’absence de représentation des femmes, l’écriture inclusive ; au silence autour des oppressions des femmes, la mobilisation pour faire émerger un discours collectif. C’est dans cette dialectique signifiant-signifié que les effets pervers de l’écriture inclusive peuvent se tarir. Ainsi, le discours qui rend visible le travail de care, dispensé principalement par des femmes issues de l’immigration et/ou des milieux populaires, compense et dépasse la menace d’anti-intersectionnalité qui pèse sur l’écriture inclusive.

La mise en lumière des rapports de domination entre femmes dans l’énoncé contrebalance ainsi l’effet homogénéisant de l’écriture inclusive. Non pas l’écriture inclusive à elle seule, mais une utilisation habile des différentes armes à disposition des féministes selon l’objectif visé contribuera à enrayer les inégalités hommes-femmes et les inégalités entre femmes.

Le standpoint féministe à la rescousse

De la même façon, si l’écriture inclusive en elle-même induit l’idée d’un groupe homogène « femmes » et prétend ainsi à l’universalité, c’est qu’elle doit être associée à l’explicitation du standpoint ou positionnement : il s’agit de situer les savoirs (en d’autres termes, préciser qui parle et dans quel contexte) et boycotter ainsi l’imposture (le point de vue d’une femme ou catégorie de femmes n’est pas celui de toutes les femmes). Seuls les savoirs situés peuvent ainsi prétendre à une objectivité. Donna Haraway oppose ainsi à l’objectivité désincarnée et trompeuse l’idée que « seule une perspective partielle promet une vision objective »[6]. L’objectivité féministe remet en question la séparation artificielle du sujet et de l’objet et prône une localisation des savoirs.

On l’aura compris : face à l’universalité mensongère du sujet « femmes » inhérente à l’écriture inclusive, le standpoint féministe fait office d’antidote en neutralisant ses effets d’extrapolation. L’expression du positionnement résout l’équation de l’anti-intersectionnalité de l’écriture inclusive.

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[6] Haraway, D. (2007). Savoirs situés. Traduction française imprimée, in D.J. Haraway, Manifeste cyborg et autres essais : sciences, fictions, féminismes (L. Allard, D. Gardey, N. Magnan, dir.) France: Exils, p. 7.

Conclusion

Le sexisme de la langue (française) n’est plus à démontrer. Prisonnières d’une contradiction – la langue utilisée à des fins d’émancipation constitue elle-même un instrument d’oppression – les féministes ouvrent le champ des possibles linguistiques. L’écriture inclusive vise ainsi une représentation plus égale des hommes et des femmes. Toutefois, sur ce mode d’écriture (quand il est appréhendé dans son immanence linguistique) se projettent les conflits qui ont jalonné l’histoire du féminisme : la catégorie homogène et universelle « femmes » contrecarre les appels des Black feminists à l’analyse intersectionnelle ; l’accroissement de la visibilité donnée à la binarité hommes-femmes renforce le projet matérialiste de forger une identité politique « femmes », tandis qu’il affaiblit les théories queer relatives à la séparation du sexe et du genre. Entre l’exclusion des transgenres et des femmes issues d’autres classes et d’autres « races » que les féministes blanches et bourgeoises, peut-on réellement parler d’écriture inclusive ?

Ces tensions ne sont toutefois pas insolubles : afin d’inclure celles et ceux qui contestent la binarité masculin-féminin, l’écriture inclusive peut aller plus loin et mettre du trouble dans le genre grammatical ; puisque l’écriture inclusive, dans son immanence, échoue à représenter toutes les femmes, elle doit être combinée avec d’autres outils féministes, parmi lesquels les énoncés qui rendent l’invisible visible (notamment les oppressions qui touchent les sans-voix) et contribuent à faire de questions privées des combats publics ; enfin, l’explicitation du standpoint dans l’énonciation constitue l’antidote à l’anti-intersectionnalité latente de l’écriture inclusive. Autant de pistes que le milieu associatif peut investir pour ébranler le patriarcat… tout en tenant compte des femmes dans leur diversité !

L’écriture inclusive peut aller beaucoup plus loin… Mais sera-t-elle jamais suffisante pour mettre à mal l’androcentrisme de la langue ? Les subterfuges tels qu’une féminisation totale de la langue ne changeront rien au fait que le langage est au service de ceux qui détiennent le pouvoir, soit majoritairement des hommes blancs hétérosexuels. Appliquée à n’importe quel énoncé, l’écriture inclusive ne ferait que rendre ce biais moins visible et, partant, en accentuer la perversité. L’écriture inclusive est une arme. Aussi faut-il veiller à activer le cran de sécurité et à ne pas la mettre entre toutes les mains…

Bibliographie

 

  • (2001). Entretien avec Françoise Collin. Philosophe et intellectuelle féministe. Clio, 13,(1), 14-14.  En ligne https://www.cairn.info/revue-clio-2001-1-page-14.htm.
  • Butler, J. (2003). Les femmes » en tant que sujet du féminisme. Raisons politiques, no 12,(4), 85-97.
  • Chatard, A., Guimond, S. et Martinot, D. (2005). Impact de la féminisation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves : une remise en cause de l’universalisme masculin ? L’Année Psychologique, 105,(2), 249-272.
  • Collin, F. (1983). « La même et les différences ». Les Cahiers du Grif, n° 28, 7-16.
  • Crenshaw, K. (2005). Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur. Cahiers du Genre, 39,(2), 51-82.
  • Dorlin, E. (2005). De l’usage épistémologique et politique des catégories de « sexe » et de « race » dans les études sur le genre. Cahiers du Genre, 39,(2), 83-105.
  • Haraway, D. (2007). Savoirs situés. Traduction française imprimée, in D.J. Haraway, Manifeste cyborg et autres essais : sciences, fictions, féminismes (L. Allard, D. Gardey, N. Magnan, dir.) France: Exils.  En ligne https://politique.uqam.ca/upload/files/maistrise/notes_de_cours/Pol-811110_SavoirsSitues2.pdf
  • Laugier, S. (2011). Le care comme critique et comme féminisme. Travail, genre et sociétés, 26,(2), 183-188.
  • Robin, K. (2011). Au-delà du sexe : le projet utopique de monique wittig. Journal des anthropologues, 124-125,(1), 71-97.  En ligne https://www.cairn.info/revue-journal-des-anthropologues-2011-1-page-71.htm
  • Violi, P. (1987). Les origines du genre grammatical. Langages, n° 85, 15-34.

Wittig, M. (1980). LA PENSÉE STRAIGHT. Questions Féministes, (7), 45-53.  En ligne http://www.jstor.org/stable/40619186

Articles non scientifiques :

  • http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive, consulté le 02/01/19.
  • https://ladiesroom.fr/2008/02/02/le-misogyne-du-mois-est/, consulté le 02/01/19.
  • http://www.liberation.fr/france/2017/11/05/ecriture-inclusive-depuis-que-j-ecris-ainsi-je-ne-vois-plus-un-monde-uniforme-mais-riche-des-deux-se_1608014, consulté le 02/01/19.

 

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