Photo : Jeanne Menjoulet via Flickr

Lexique sur la migration : ce qui se cache derrière les mots

Alix Buron
Chargée de projets à la FUCID

S’y retrouver dans le vocabulaire lié à la migration n’est pas une mince affaire, surtout lorsque de nombreux médias, discours politiques ou publics ont tendance à véhiculer des clichés qui peuvent brouiller ce qu’est la réalité migratoire aujourd’hui. Par ailleurs, beaucoup de définitions retrouvées dans les lexiques sur la migration sont purement légales et, si connaître le droit derrière les mots est nécessaire, il est aussi essentiel de comprendre les réalités systémiques et les relations de domination derrière ces définitions. C’est ce que propose ce lexique, dans un passage en revue forcément incomplet, mais certainement un peu décalé des définitions habituelles.

Migrant

Selon l’Organisation des Nations Unies, « le migrant international est celui qui est né dans un pays et qui vit pour une durée généralement supérieure ou égale à un an dans un autre pays que le sien » (Wihtol de Wenden, 2021, p.7). Un migrant peut donc aussi bien être quelqu’un qui migre pour rejoindre sa famille, étudier, travailler – temporairement ou au long-court –, chercher l’asile, ou encore passer sa retraite au soleil. Les migrants internationaux représentent 272 millions de personnes dans le monde. Les migrants internes (au sein d’un même pays ; donc oui, un Liégeois qui déménage à Namur est un migrant !) sont plus nombreux : on en compte 740 millions. Donc, au total, sur les 7 milliards d’êtres humains, 1 milliard sont en situation de migration (Idem). Pourtant, le mot « migrant » est souvent utilisé dans les discours publics de nos pays pour renvoyer à un type spécifique de personne : le migrant « illégal », souvent un homme pauvre venant d’un pays du Sud pour rejoindre l’Europe ou l’Amérique du Nord, et généralement mis en avant dans une volonté de faire peur, stigmatiser et discriminer.

Migrante

Les femmes sont souvent absentes des récits de migration, plutôt vues comme des « suiveuses », c’est-à-dire qui migrent avec leur famille ou restent au pays en attendant que leur mari soit installé pour le rejoindre. Pourtant, elles sont nombreuses à ouvrir la voie : 51% des migrants internationaux sont des femmes, et 30% des demandes d’asile en Europe sont introduites par des femmes. Les migrantes sont des travailleuses qualifiées ou peu qualifiées, des réfugiées, des étudiantes, des clandestines, des entrepreneuses,… une réalité plurielle pour des femmes aux origines, classes sociales, et objectifs migratoires très diversifiés, impossibles à caser dans des catégories fermées. Elles migrent parce qu’elles fuient la guerre, car elles veulent plus d’autonomie en tant que femmes, parce qu’elles sont à la recherche d’opportunités, et bien d’autres raisons encore qui peuvent changer au fil du temps. Une chose est sûre cependant : le fait d’être femmes les rend plus vulnérables aux violences et inégalités. Et si elles sont issues de pays du Sud ou non-blanches, les discriminations sont d’autant plus accentuées.[1]Pour aller plus loin, lire l’ouvrage « Les Damnées de la Mer » de Camille Schmoll.

Migrant privilégié

Proposé par la sociologue Sheila Croucher ce terme « désigne les personnes qui, dans la formulation de leur projet migratoire, bénéficient des relations asymétriques entre leur pays d’origine et celui où elles s’installent » (Clément, François et Gellereau, 2021), avantagées par leur nationalité, leur classe sociale, leur origine ethnique, etc. Un retraité français qui s’installe au Maroc, par exemple, bénéficie d’une forme de privilège : il pourra facilement voyager grâce à son passeport[2]Le passeport belge donne accès à 185 pays sans formalité importante, contre 33 pays pour un Pakistanais par exemple. et profiter de la différence de coût de la vie des deux pays pour vivre une retraite confortable. Les migrants privilégiés peuvent franchir les frontières sans crainte, et valoriser facilement leur capital économique, leurs compétences, leurs diplômes, leur culture et/ou leur réseau à l’étranger. Le migrant privilégié regroupe donc une large catégorie de personnes qui ne sont souvent pas désignées « migrantes » (bien qu’elles le soient), mais « expatriées », « Erasmus », « digital nomads », etc. Pour les plus pauvres, par contre, migrer est souvent un luxe inaccessible ou qui nécessite de s’endetter : pour un Vietnamien, migrer au Japon coûte l’équivalent de 6 ans de salaire vietnamien moyen (Rea et Gemenne, 2021) ! Et les migrants moins qualifiés ou aisés seront moins bien vus, alors qu’ils ont eux aussi de grands réseaux de sociabilité et pratiquent plusieurs langues. Un fait est clair : migrer est bien plus simple quand on est né dans le bon pays, et la bonne famille.

Migration forcée

Désigne le mouvement de personnes qui n’ont d’autre choix que de quitter leur foyer « en raison de conflits, de violences, de violations des droits de l’homme, de persécutions, de catastrophes et des conséquences du changement climatique » (Commission européenne). En 2021 (avant la guerre en Ukraine), selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), 89,3 millions de personnes étaient déracinées à travers le monde, le double d’il y a 10 ans. Cela est dû notamment à l’augmentation des crises alimentaires, liées à la fois à des instabilités économiques, politiques et/ou au réchauffement climatique.

Demandeur d’asile / Réfugié

Selon Amnesty International, un migrant peut demander l’asile et, si sa demande est acceptée, il deviendra un réfugié, c’est-à-dire une personne qui satisfait aux critères définis par la Convention de Genève. Celle-ci précise qu’un réfugié est une personne qui a fui son pays « craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. » Une fois reconnue comme réfugiée, la personne peut accéder aux mêmes droits sociaux que les nationaux (mais pas les droits politiques comme le droit de vote ou l’éligibilité électorale). Durant sa période d’attente, par contre, ceux-ci sont limités.
Un problème cependant : c’est le pays d’accueil (celui qui reçoit la demande d’asile) qui décide de la définition de l’état de danger : ainsi, la Belgique peut décider que la Syrie, même si en guerre, est un pays sûr et que donc les personnes qui viennent de ce pays ne peuvent pas avoir vécu de danger et n’ont pas à bénéficier d’un statut de réfugié. Autant dire que les ratios d’acceptation des demandes changent donc au fil du temps ou selon le pays : 9% des demandes d’asiles traitées en Hongrie recevront un avis positif, contre 21% en France ou 76% en Suède… Difficile d’y voir une quelconque objectivité. Autre problème : même si les États essayent de classifier et trier, dans une volonté de contrôle plutôt que de protection, les raisons qui poussent à la migration sont souvent nombreuses, entrelacées et mouvantes.

Migrant environnemental / climatique

Une personne forcée de se déplacer à cause des effets du dérèglement climatique (sècheresse, montée des eaux, etc.) ou d’une catastrophe naturelle (tsunami, ouragan, etc.). Le terme de « réfugié » est ici un abus de langage, car les causes climatiques ne sont pas reconnues par la Convention de Genève et qu’il n’existe à ce jour aucune loi contraignant les États à protéger ces personnes. Pourtant, aujourd’hui estimé à 50 millions de personnes (Wihtol de Wenden, 2021, p.24), le nombre de migrants environnementaux risque d’augmenter drastiquement les prochaines décennies à cause de l’accélération du changement climatique : les estimations vont de 200 millions à un milliard de déplacés (internationaux ou au sein de leur propre pays) à l’horizon 2050 (Oxfam France, 2021). Actuellement, ce sont les personnes vivant dans les pays du Sud qui subissent le plus les effets du changement climatique ou d’une catastrophe naturelle, mais aussi les personnes aux revenus les plus modestes dans les pays du Nord (comme en Belgique où les personnes plus précaires vont vivre dans des zones inondables car les logements y sont moins chers…) (Marinnette, 2021). Alors que ce sont les 10% les plus riches qui sont responsables de la moitié des émissions mondiales de CO2, cause première des dérèglements climatiques.

Sans-papier / Migrant illégal

Migrant se trouvant en situation irrégulière (c’est-à-dire non autorisée) dans le pays d’accueil pour plusieurs raisons possibles : demande d’asile refusée, visa expiré, entrée sur le territoire illégalement, etc. En Belgique, un permis de travail peut permettre l’accès au territoire à une personne non-européenne (et perdre ce travail peut donc menacer la poursuite du séjour). Fuir la guerre et les persécutions est normalement considéré comme un motif de migration légitime. Vouloir échapper à la pauvreté, la famine, le changement climatique… pas forcément.
On estime qu’il existe 150 000 sans-papiers en Belgique (Tout Va Bien, 2021), qui ne jouissent pas des mêmes droits fondamentaux et protections que les habitants du pays ou que les migrants en situation régulière : ils travaillent par exemple sans protection sociale, ils peuvent être expulsés de leur logement à tout moment, etc. Une précarité maintenue par les gouvernements qui sont bien conscients de leur place dans l’économie : les sans-papiers constituent en effet une réserve de main-d’œuvre bon marché, exploitable à merci, dans des métiers pénibles et en pénurie, délaissés par les nationaux, comme l’agriculture, le soin des personnes, l’entretien ou le bâtiment.

Migrant économique

Selon l’UNHCR, un migrant économique « quitte généralement son pays sur une base volontaire, souvent dans l’espoir d’une vie meilleure. Si le migrant le souhaite, il peut rentrer chez lui en toute sécurité ». Le migrant économique est souvent une personne qui migre avec un permis de travail. Cela peut être également une personne qui décide de vivre dans un pays moins cher ou moins taxé : par exemple, les retraités français peuvent être exonérés d’impôts durant 10 ans au Portugal, la Belgique est idéale pour les rentiers qui y sont peu taxés, et le taux d’imposition à Andorre est particulièrement bas… si on investit au moins 350 000 euros dans le pays. Il y a donc de nombreux profils de migrants économiques. Pourtant, ce sont essentiellement les migrants du Sud qui seront catégorisés de cette manière, tandis que ceux du Nord seront bien souvent définis comme des « expatriés », terme qui renvoie pourtant à un statut spécifique (une personne envoyée dans un autre pays par son entreprise, qui prend en charge le logement, la scolarité, etc.). Mais cette connotation langagière en dit beaucoup sur les préjugés concernant la migration, l’inégalité de traitement par rapport au pays d’origine et la volonté de classifier bien plus sévèrement les motifs de migration des personnes venant du Sud. Est-il donc si difficile de concevoir qu’on peut vouloir fuir la guerre… mais aussi chercher une vie meilleure du point de vue économique ?

Crise migratoire

Expression régulièrement employée dans l’espace médiatique pour désigner l’augmentation du nombre de migrant·e·s arrivant dans l’Union européenne en provenance de pays du Sud à travers des voies d’accès illégales, longues, dangereuses, à la merci entre autres des passeurs et des forces de l’ordre qui harcèlent et violentent sur la route migratoire ou dans des camps informels. Le mot « crise » peut donner à croire que la situation est le résultat d’une « fatalité », une « tragédie » due à un « afflux anormal » de personnes migrantes, alors qu’elle est le résultat de choix politiques qui rendent la migration difficile et souvent illégale. Il s’agit donc bien plus d’une crise de l’accueil, ou de l’asile (Bloj, Lenoir et Maximin, 2020) à laquelle on peut trouver des solutions afin d’éviter, par exemple, les 3000 morts parmi les personnes ayant tenté de traverser la Méditerranée rien qu’en 2021 (Nations Unies, 2022).

Justice migratoire

Terme défendu par de nombreuses associations pour mettre en valeur la nécessité du respect des droits fondamentaux, de l’égalité et de la solidarité. En défendant le droit à tout être humain de vivre dignement, la justice migratoire se veut une alternative aux injustices entre pays du Nord et Sud, ces derniers accueillant la majorité des personnes réfugiées ou migrantes[3]85% des 79,5 millions de personnes sont accueillies et soutenues par des pays du Sud (Tevanian et Stevens, 2022, p.31)., et payant le prix fort des bouleversements climatiques. Elle dénonce les politiques répressives actuelles, le racisme, la xénophobie et les préjugés qui déshumanisent les personnes migrantes. Les Belges, par exemple, surévaluent de 140% le nombre de migrants dans leur pays (Tevanian et Stevens, 2022, p.34), influencés notamment par les politiques et médias qui parlent de « vagues », « tsunamis », de « chasse aux migrants illégaux », de « charge »… et essayent de faire oublier que, derrière le terme « migrant », il y a des êtres humains.
La justice migratoire plaide ainsi pour des partenariats entre pays pour que tout humain puisse vivre dignement là où il est né, mais aussi pour l’ouverture de voies sûres et légales de migration et de campagnes de luttes contre les discriminations.

Références

Références
1 Pour aller plus loin, lire l’ouvrage « Les Damnées de la Mer » de Camille Schmoll.
2 Le passeport belge donne accès à 185 pays sans formalité importante, contre 33 pays pour un Pakistanais par exemple.
3 85% des 79,5 millions de personnes sont accueillies et soutenues par des pays du Sud (Tevanian et Stevens, 2022, p.31).

Bibliographie
  • Bloj R., Lenoir O., Maximin E., 11 mai 2020, « Cartographier, comprendre les migrations au temps du Covid-19 : 10 points », Paris : Le Grand Continent, https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/11/10-migration-covid-19/
  • Clément Garance, François Camille et Gellereau Claire, 2021, « Les migrations des privilégié·e·s, Métropolitiques, https://metropolitiques.eu/Les-migrations-des-privilegie-e-s.html
  • Commission européenne, « Déplacements forcés : réfugiés, demandeurs d’asile et personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (PDI) », https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/what/humanitarian-aid/forced-displacement-refugees-asylum-seekers-and-internally-displaced-persons-idps_fr
  • Mormont Marinnette, 2021, « Jacques Teller : ‘‘Avec le changement climatique, il est fort probable que les inégalités environnementales liées aux inondations s’exacerbent’’, Alter échos, https://www.alterechos.be/jacques-teller-avec-le-changement-climatique-il-est-fort-probable-que-les-inegalites-environnementales-liees-aux-inondations-sexacerbent/
  • Nations Unies, 10 juin 2022, « Méditerranée : de nouvelles données montrent un nombre croissant de morts et de tragédies en mer », https://news.un.org/fr/story/2022/06/1121502
  • Oxfam France, 2021, « Comprendre les termes liés aux migrations », https://www.oxfamfrance.org/migrations/migrants-refugies-definitions-et-enjeux/
  • Rea Andréa et Gemenne François, 2021, « ‘‘Migrants’’ ou ‘‘demandeurs d’asile’’ ? », Revue Politique, https://www.revuepolitique.be/migrants-ou-demandeurs-dasile/
  • Tevanian Pierre et Stevens Jean-Charles, 2022, « ‘‘On ne peut pas accueillir toute la misère du monde’’ : en finir avec une sentence de mort », Paris : Anamosa.
  • Tout va Bien, 2021, « 4 raisons de régulariser les sans-papiers maintenant ! », https://www.youtube.com/watch?v=9gD63H_vF6w
  • UNHCR, « Lexique », https://www.unhcr.org/be/lexique
  • Wihtol de Wenden Catherine, 2021, « Atlas des migrations : de nouvelles solidarités à construire », Autrement, sixième édition

L'analyse en PDF

Vous pouvez retrouver cette analyse dans notre FOCUS, la revue de la FUCID, disponible en format papier gratuitement à la demande et en ligne en cliquant ici (FOCUS 2023 - Migrations & Rapports de dominations).
L'analyse est disponible en format PDF téléchargeable en cliquant ici.