S’engager sur TikTok, vraiment ?

Alix Buron
Chargée de projets à la FUCID

Il y a eu Facebook, Instagram, et désormais TikTok. Si ce premier réseau social reste la plateforme la plus populaire en Belgique, l’utilisation d’Instagram et surtout de TikTok a explosé ces dernières années – particulièrement depuis le confinement face à l’épidémie de Covid-19. 83% des Belges de moins de 25 ans consultent ainsi quotidiennement Instagram et 63% TikTok, où le temps moyen d’utilisation atteint 95 minutes par jour (Sohy, 2022 ; Viniacourt, 2023). Mais à côté des vidéos de danse, des tutos pâtisserie et des astuces insolites parfois dangereuses, on retrouve également des publications militantes, de droite comme de gauche. Alors, les réseaux sociaux, chantres de l’engagement « post-it » ou réelles plateformes de mobilisation ?

Le 15 octobre 2017, l’actrice Alyssa Milano utilise le hashtag #MeToo sur son compte Twitter, invitant des femmes victimes de violences sexuelles à témoigner : un mot-clé qui va enclencher un véritable mouvement de libération de la parole dans le monde entier et donner naissance, au fil des ans, à d’autres mouvements (et hashtags) dénonçant les violences et agressions sexuelles. En Belgique, on notera notamment #BalanceTonFolklore qui dénonce les violences sexuelles sur les campus universitaires ou #BalanceTonBar qui vise le monde de la nuit. Des hashtags qui ne sont pas sans répercussions dans la vie réelle : par exemple, #BalanceTonBar, lancé en 2021, a été suivi de plusieurs manifestations dans les rues de Bruxelles, une série de boycotts et contribué à l’intégration de la notion de soumission chimique dans le Code pénal belge (Dewit, 2023).

Pour TikTok, c’est #BlackLivesMatter[1]Mouvement de protestation contre les violences policières racistes. qui a créé un véritable raz-de-marée, le réseau social étant devenu une caisse de résonance privilégiée du mouvement après le meurtre de George Floyd aux États-Unis, asphyxié lors de son interpellation par la police en mai 2020. Sur la plateforme, de nombreux contenus de réaction ont rapidement émergé : des messages de soutien, des vidéos éducatives, des témoignages, des relais des manifestations physiques, etc. En un mois, les vidéos TikTok comprenant le hashtag #BlackLivesMatter avaient ainsi cumulé huit milliards de vues (Rodriguez, 2020). Huit milliards.

Pour Laurence Allard, maîtresse de conférences en sciences de la communication à l’Université de Lille/IRCAV-Paris 3, la viralité des hashtags s’explique notamment par leur capacité à nouer, amplifier et « articuler des témoignages individuels en une histoire collective » (Macif, 2021), tout en y structurant des discours sociologiques qui sortent alors du champ universitaire. En somme : les réseaux sociaux peuvent faciliter l’appréhension que son vécu est partagé par d’autres, l’analyse de ses racines sociologiques, et parfois même la structuration d’une militance hors ligne.

Caisse de résonance des sans-voix

Pour de nombreuses personnes habituellement minorisées, peu représentées dans les médias (voire dans les mouvements sociaux traditionnels[2]Pour creuser cette thématique, avec l’exemple du mouvement écologiste « mainstream » et sa difficulté à prendre en compte les questions de rapports de domination, voir notre analyse « Mouvements écologistes : lutter sans perpétuer les inégalités » : … Continuer de lire ), les réseaux sociaux leur ont en effet donné une nouvelle possibilité de se faire entendre, découvrir des vécus similaires, créer un réseau, montrer son soutien même si l’on habite loin ou que l’on n’a pas la possibilité de manifester. Mais ils leur ont aussi fourni un espace d’apprentissages, de discussions et de débats[3]Pendant la campagne présidentielle américaine, de nombreux TikToks ont ainsi émergé pour donner son avis sur les différents programmes des candidats ou pour en débattre grâce à la fonction « duet », qui permet d’afficher sa vidéo à côté d’une autre pour y répondre.. Ces lieux en ligne, largement participatifs, ont ainsi permis à de nombreuses personnes a priori peu politisées de se faire une éducation féministe, antiraciste, écologiste, etc.

Pour de nombreuses personnes habituellement minorisées, peu représentées dans les médias (voire dans les mouvements sociaux traditionnels), les réseaux sociaux leur ont donné une nouvelle possibilité de se faire entendre, découvrir des vécus similaires, créer un réseau, montrer son soutien même si l’on habite loin ou que l’on n’a pas la possibilité de manifester. Mais ils leur ont aussi fourni un espace d’apprentissages, de discussions et de débats.

Sur Instagram, en effet, les comptes à vocation pédagogique pullulent et font un travail colossal de vulgarisation de notions souvent complexes (privilège blanc, charge mentale, etc.), que l’on retrouve traditionnellement dans les milieux universitaires ou les ouvrages spécialisés. Certains de ces comptes sont anonymes, d’autres tenus par des personnes qui peuvent par ce biais obtenir une nouvelle visibilité, jusqu’à être invitées sur des plateaux de télévision ou publier des ouvrages.

Mais alors qu’Instagram a encore beaucoup recours à l’écrit, TikTok et ses formats de vidéos ultra-courtes parvient à toucher un public encore plus large : plus jeune ou issu de milieux populaires. Les TikTokeurs et TikTokeuses ne manquent d’ailleurs pas d’inventivité pour s’assurer de la viralité de leurs vidéos en trompant l’algorithme du réseau social : par exemple, avec un faux tuto où une jeune femme se maquille tout en débitant un discours militant ou encore à travers un discours anticapitaliste mis en chanson dans un décor ultra-kitch[4]@itspusher. TikTok étant une machine à la viralité et aux détournements de contenus, les scores de partages et de likes sont du jamais vu par rapport aux autres réseaux sociaux.

Se créent également des tendances s’affichant tout de go comme clairement militantes, comme le relève le webzine féministe Les Ourses à Plumes : avec, par exemple, « Me dancing to » (des victimes d’hommes toxiques dansent sur des messages vocaux problématiques envoyés par ces derniers en fond sonore) et « 97% » (suite à une étude britannique qui a révélé que 97% des Anglaises entre 18 et 24 ans ont été victimes de harcèlement sexuels, des jeunes femmes mettent en scène leur appartenance à ces 97%). On pourra aussi évoquer le challenge « Check your privilege », lancé par @bigmammaofficial sur Instagram et TikTok : il s’agissait de baisser un doigt si on a été victime d’insulte raciste, si on craint la police, etc. pour mettre en avant les questions de privilèges de race sociale.

Ces messages surgissent dans le flux quotidien de contenus de tout ordre, où la jeunesse parle des soucis de sa génération. Ils peuvent également mener à des actions extrêmement rapides et à l’organisation horizontale. On pensera par exemple à la véritable opération de trollage[5]Provocation (généralement en ligne) qui vise à faire enrager / narguer une personne. qui s’est organisée contre Donald Trump sur TikTok : des milliers de fausses réservations ont été effectuées pour un meeting de Trump dans l’Oklahoma, ce qui fait que l’ex-président s’est présenté dans un stade étonnamment vide. Une autre opération de sabotage : celle effectuée contre un site Internet anti-avortement au Texas, Texas Right to Life, créé pour que la population puisse dénoncer anonymement les personnes qui chercheraient à obtenir ou faciliter l’avortement (YPulse, 2021). Un TikToker a alors promu une application permettant de générer de faux témoignages en masse et de rendre le travail des employés particulièrement difficile pour différencier le vrai du faux – une opération suivie par des milliers de personnes.

Plus proche de chez nous, on pensera au mouvement Nuit Debout[6]Des manifestations et occupations de places publiques contre la loi Travail en France en 2016. On peut aussi prendre l’exemple des Printemps Arabes de 2010, mouvement de contestations populaires ayant traversé de nombreux pays arabes en 2010 : l’organisation des manifestations a été … Continuer de lire, largement organisé via Facebook. Comme le note Daniel Bonvoisin, de l’association d’éducation aux médias Media Animation : « Une mobilisation aussi rapide et notoire aurait-elle pu voir le jour sans un RSN [réseau social numérique] tel Facebook ? Les moyens traditionnels (mobilisation de réseaux activistes, tracts, affichage…) auraient-ils produit le même résultat ? Il aurait certainement fallu plus de temps, d’efforts et de moyens que le buzz d’un évènement Facebook. Ce succès n’est pas isolé : de nombreuses initiatives citoyennes se déploient via Facebook au point de rendre tout autre moyen de promotion superflu » (2017).

Un mode d’organisation qui a son revers, comme l’explique Romain Badouard, maître de conférences à l'Université Paris 2 et membre du CARISM[7]Centre d'Analyse et de Recherche Interdisciplinaire Sur les Médias. : ces mouvements n’ont pas toujours de porte-parole, de personne qui peut traduire l’indignation spontanée en revendications concrètes et négocier en leur nom auprès des sphères politiques (Programme B, 2020).

Cyberharcèlement, invisibilisation et extrême droite

Cela dit, si l’espace numérique peut être un formidable outil d’émancipation et de mobilisation collective, être visible sur les réseaux sociaux, ce n’est pas toujours une promenade de santé. Cette possibilité donnée aux personnes exclues des médias traditionnels de prendre la parole est en effet à double tranchant : les plateformes laissent tout autant la possibilité aux discours conservateurs et d’extrême-droite de devenir viraux, sans passer par le filtre des médias, notamment concernant la vérification de la véracité des faits.

Beaucoup de politiques l’ont bien compris et utilisent désormais les réseaux sociaux pour créer un lien privilégié avec les citoyen·ne·s. Le Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation considère ainsi qu’une partie de la réussite du Vlaams Belang aux élections fédérales en 2019 s’explique par leur investissement sur les réseaux sociaux, « avec plus de 170 000 euros dépensés pour les publicités sur Facebook » (Van Der Steen, 2021). TikTok, plus encore, permet de toucher un public plus jeune, pas toujours conscient des casseroles que traînent ces mouvements. De même, l’absence de filtre médiatique sur les réseaux sociaux laisse une large marge aux contenus de désinformation : NewsGuard a ainsi estimé que c’était le cas d’un contenu sur cinq suggéré par TikTok (Oluoch, 2023). Les hashtags promouvant des contenus climatosceptiques, notamment, ont explosé en 2022 : les sept plus populaires d’entre eux cumulent 14 millions de vues (RTBF, 2023). Un point d’attention particulièrement important, quand on sait que 34% des jeunes utilisent les réseaux sociaux comme unique source d’information[8]Qu’on se rassure, cependant, car les jeunes sont statistiquement bien moins climatosceptiques que leurs aînés. (Saqué, 2022, p.127).

Si l’espace numérique peut être un formidable outil d’émancipation et de mobilisation collective, être visible sur les réseaux sociaux, ce n’est pas toujours une promenade de santé.

Autre aspect à double tranchant : s’ils favorisent les voix minoritaires et la création de communautés numériques qui peuvent se soutenir et s’inspirer, ces réseaux permettent également l’émergence de groupes bien moins bienveillants : cyberharceleurs (particulièrement de la veine masculiniste[9]Idéologie anti-féministe. ) en tout genre pullulent en effet sur la toile avec une impunité quasi totale. Alice Coffin, journaliste, femme politique et militante féministe et LGTBQIA+ a ainsi témoigné à plusieurs reprises des insultes et menaces sexistes et lesbophobes qu’elle subit depuis qu’elle a été élue en 2020, dans son cas essentiellement sur Twitter : leur gravité a fait que son logement a été mis sous surveillance. Selon elle, ces cyberviolences sont pourtant très mal prises en charge par la justice actuellement : dans son cas, sur des milliers de tweets insultants et des dizaines de dépôts de plaintes, très lourdes administrativement, seule une personne a été condamnée… à lui verser 300 euros de dédommagement. Alice Coffin refuse cependant de plier face à ces groupes qui tentent de la priver de son expression publique (Olité, 2022).

La youtubeuse française Marion Seclin, qui jongle entre humour et féminisme, a elle aussi voulu faire comprendre l’impact du cyberharcèlement à travers de nombreux témoignages et un documentaire : elle y explique par exemple que, en deux mois à peine, elle a déjà reçu plus de 40 000 insultes, menaces de mort et de viol et incitations au suicide, de personnes cachées derrière leur anonymat et l’effet de meute (Konbini, 2023). Des groupes qui sont souvent très organisés et qui lancent leurs attaques sous forme de raids.

Un cyberharcèlement qui a mené de nombreuses activistes, souvent féministes, à cesser leurs activités de militance ou d’éducation en ligne. D’autres voient plutôt leur contenu invisibilisé, car leur compte est signalé en masse par des groupes masculinistes ou conservateurs (ce qui entraîne sa fermeture ou son invisibilisation par l’algorithme de la plateforme).

Les plateformes, elles, s’avèrent largement inutiles face au cyberharcèlement, pour ne pas dire complètement indifférentes. Pire encore : TikTok, pour ne citer que lui, a été critiqué à de nombreuses reprises car son algorithme met moins en avant certains profils dans les fils personnalisés, notamment les personnes noires ou grosses[10]TikTok a admis que certains comptes étaient moins visibles, selon eux pour protéger ces personnes contre le cyberharcèlement. Pourtant, si quelqu’un qui utilise le mot « noir » dans une vidéo sera invisibilisé via l’algorithme, ce sera étrangement bien moins le cas d’une personne qui … Continuer de lire, ou car il aurait carrément censuré des contenus politiques. Une jeune utilisatrice dénonçant la situation de la communauté ouïghoure en Chine a ainsi vu son compte temporairement suspendu suite à une « erreur » et le hashtag #BlackLivesMatter a été censuré au début du mouvement, le mot-clé n’affichant aucun chiffre de visionnage (TikTok s’est ensuite excusé de ce « problème technique »), tandis que de nombreux créateurs et créatrices de la plateforme ont témoigné de chute drastique de visibilité après avoir posté leur soutien au mouvement (Brandy, 2020 ; McCluskey, 2020).

Professionnalisation et activisme-washing

Ces exemples nous emmènent assez loin de l’idée d’un activisme en ligne comme étant fainéant, sans risque ou conséquence sur « le monde réel », même s’il est évident qu’il existe également, sur ces plateformes, des formes d’activisme essentiellement performatif – c’est-à-dire une prise de position avec comme unique objectif un apport personnel (se donner bonne conscience par exemple), sans réel changement à la clé ou du moins sans chercher à contrer l’oppression dénoncée. Les marques ont elles aussi pris le train en marche, créant des campagnes de publicité autour d’influenceur·euse·s portant des messages progressistes comme simple technique marketing.

Le fait est que ces plateformes ont tendance à valoriser l’individu plutôt que les collectifs. Et, dans cette première catégorie, il y a tout autant d’influenceurs et influenceuses écolo ou féministes qui ont une vision engagée politiquement et qui font la part belle à l’action collective, que de personnes qui vivent du marketing éco-responsable/féministe/etc. ou d’une vision très individualiste de la militance, et ce même si elles veulent bien faire. Comme quand une influenceuse « body positive » fait un partenariat avec une marque de cosmétiques (bourrée de produits chimiques) et son nouveau packaging qui permet de mieux rouler les tubes en plastique et donc d’être « plus économique et écologique » (mais dans des emballages plastiques) ou lorsqu’une instagrameuse s’engage contre la précarité menstruelle avec une marque de protections hygiéniques, en conditionnant son aide au nombre de likes reçus[11]Il ne s’agit pas non plus de faire la chasse aux sorcières militantes. Bien plus inquiétants sont les influenceur·euse·s plus connu·e·s et de tous bords qui ne prennent aucune responsabilité quant à leur impact comme leaders d’opinion, à l’image d’un Tiboinshape (12 millions … Continuer de lire.

Tal Madesta, activiste LGTBQIA+ très suivi sur les réseaux sociaux, alerte sur cette tendance à la monétisation : « L’objet principal d’un compte militant ne doit pas se situer dans une démarche d’auto-promotion menant à des gains financiers via la vente régulière de produits ou services, sinon ce n’est plus du militantisme mais de la commercialisation des luttes, une aubaine pour les marques qui cherchent à paraître engagées » (Idem). Même si, évidemment, cela pose la question de la rémunération des activistes qui décident d’en faire leur activité principale sans passer par le monde associatif.

Un autre risque de l’influence militante 2.0 : faire monter la visibilité des bon·ne·s communicant·e·s, plutôt que des vrai·e·s expert·e·s. Pour CorpsCool, militante anti-grossophobie, en effet, « en gagnant de la visibilité on gagne en crédibilité. Il y a un phénomène de sacralisation de la parole de certain·e·s », pas toujours les plus pertinents ou bien sourcés (Idem). Et si, dans son cas, Instagram lui a permis de passer dans les médias traditionnels, de créer une association… et donc de donner une nouvelle portée à son engagement, il peut aussi créer des figures de porte-parole qui monopolisent sans le vouloir le discours militant (par exemple, en montrant essentiellement la vision d’une écologie portée par des personnes blanches et de classe moyenne, et non issues de classes populaires ou immigrées). La faute, aussi, aux médias traditionnels, qui ont plutôt tendance à inviter les « rock stars » des réseaux sociaux plutôt que des personnes aux positionnements plus diversifiés.

Conclusion

TikTok, comme beaucoup de réseaux sociaux avant lui, a essuyé de nombreuses critiques, pour beaucoup justifiées[12]Des défis dangereux qui se propagent dans les cours d’école, des astuces beauté dommageables pour la santé, un risque d’addiction au réseau, un algorithme qui a tendance à mettre en avant des contenus qui peuvent aggraver l’anxiété ou des problèmes de santé mentale, la question de … Continuer de lire, mais aussi des marques profondes de mépris sur les types de contenus partagés et les personnes utilisant l’application : essentiellement des jeunes pour qui il peut pourtant s’agir de leur toute première école politique. Pour la journaliste Salomé Saqué, autrice de l’ouvrage « Sois jeune et tais-toi », cette attitude de mépris est révélatrice de la façon dont les jeunesses sont perçues aujourd’hui par la population plus âgée : surtout dépolitisées, plus rarement engagées et, si elles le sont, jamais de la bonne façon (Rozec, 2023).

Alors non, les réseaux sociaux ne suffisent certainement pas pour mener une lutte. La difficulté de structurer les discours en revendications concrètes, la politique du like et de l’influence, les algorithmes admettant difficilement les critiques sociales, le risque de l’entre-soi, etc. sont des blocages non négligeables. Mais quand on sait que, en 2022, 87% des 16-24 ans suivaient des influenceurs sur les réseaux sociaux[13]Les influenceur·euse·s ont une réelle capacité d’impact sur les comportements de leurs followers : par exemple, un tiers de ces jeunes a acheté un produit suite à la promotion d’un influenceur au cours du dernier trimestre (Sohy, 2022). et que ces plateformes sont parfois leur unique source d’information, il serait dommage de négliger la force de frappe de ces applications par mépris intellectuel ou méconnaissance des nouvelles pratiques culturelles.

Facebook, Instagram et puis TikTok offrent en effet de nouvelles opportunités de toucher des personnes a priori non politisées, notamment grâce à leur aspect ludique et créatif. La sphère militante, qui a toujours été sur Internet, ne doit pas laisser ce terrain à la promotion de mode de vies consuméristes, à la récupération capitaliste des luttes, à la désinformation et à l’extrême-droite sous prétexte que les contenus que l’on trouve sur ces plateformes ne sont pas toujours assez « sérieux » ou que les jeunes ne s’intéresseraient pas aux enjeux mondiaux ou à l’actualité. Elle doit plutôt combiner ces différentes formes de militance, se positionner comme un pont entre le questionnement individuel et les actions plus collectives, traduire les indignations virtuelles en combat politique. Accepter que le tout premier pas, avant le volontariat dans une association, la présence à une manifestation, la participation dans une opération collective de sabotage en ligne ou dans l’espace public, la sensibilisation,… c’est peut-être bien cette vidéo où un journaliste danse en annonçant les dernières nouvelles de l’écologie[14]Comme le fait @vert_le_media (et, dans des formats variés, plein d’autres associations, collectifs, medias, activistes qui ont investis les réseaux sociaux)..

Références

Références
1 Mouvement de protestation contre les violences policières racistes.
2 Pour creuser cette thématique, avec l’exemple du mouvement écologiste « mainstream » et sa difficulté à prendre en compte les questions de rapports de domination, voir notre analyse « Mouvements écologistes : lutter sans perpétuer les inégalités » : https://www.fucid.be/mouvements-ecologistes-lutter-sans-perpetuer-les-inegalites/
3 Pendant la campagne présidentielle américaine, de nombreux TikToks ont ainsi émergé pour donner son avis sur les différents programmes des candidats ou pour en débattre grâce à la fonction « duet », qui permet d’afficher sa vidéo à côté d’une autre pour y répondre.
4 @itspusher
5 Provocation (généralement en ligne) qui vise à faire enrager / narguer une personne.
6 Des manifestations et occupations de places publiques contre la loi Travail en France en 2016. On peut aussi prendre l’exemple des Printemps Arabes de 2010, mouvement de contestations populaires ayant traversé de nombreux pays arabes en 2010 : l’organisation des manifestations a été grandement facilitée par Facebook et Twitter qui permettaient rapidité et anonymat.
7 Centre d'Analyse et de Recherche Interdisciplinaire Sur les Médias.
8 Qu’on se rassure, cependant, car les jeunes sont statistiquement bien moins climatosceptiques que leurs aînés.
9 Idéologie anti-féministe.
10 TikTok a admis que certains comptes étaient moins visibles, selon eux pour protéger ces personnes contre le cyberharcèlement. Pourtant, si quelqu’un qui utilise le mot « noir » dans une vidéo sera invisibilisé via l’algorithme, ce sera étrangement bien moins le cas d’une personne qui emploie les termes de « suprématie blanche » ou de « néo-nazi » dans sa bio (McCluskey, 2020 ; Murrey, 2021).
11 Il ne s’agit pas non plus de faire la chasse aux sorcières militantes. Bien plus inquiétants sont les influenceur·euse·s plus connu·e·s et de tous bords qui ne prennent aucune responsabilité quant à leur impact comme leaders d’opinion, à l’image d’un Tiboinshape (12 millions d’abonnés sur Youtube et 10 sur TikTok) et sa vidéo de promotion d’un « avion du futur » qui « consommerait moins », en collaboration avec le GIPAS (groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales). Autre exemple : des influences mode invitées par Shein (marque chinoise de vêtements de fast-fashion épinglée notamment pour son utilisation de produits très toxiques et le travail forcé des Ouïghours, minorité musulmane en Chine) pour vanter les conditions de travail de ses travailleur·euse·s dans une de ses usines.
12 Des défis dangereux qui se propagent dans les cours d’école, des astuces beauté dommageables pour la santé, un risque d’addiction au réseau, un algorithme qui a tendance à mettre en avant des contenus qui peuvent aggraver l’anxiété ou des problèmes de santé mentale, la question de la vie privée et de l’utilisation des données personnelles, la vulnérabilité des jeunes utilisateur·trice·s par rapport à de potentiels prédateurs sexuels… des problèmes que l’on peut retrouver à des degrés variables sur les autres réseaux sociaux. Rien de toute cela n’est négligeable, même si certains médias traditionnels ont parfois plaisir à en « rajouter une couche » pour faire du clic.
13 Les influenceur·euse·s ont une réelle capacité d’impact sur les comportements de leurs followers : par exemple, un tiers de ces jeunes a acheté un produit suite à la promotion d’un influenceur au cours du dernier trimestre (Sohy, 2022).
14 Comme le fait @vert_le_media (et, dans des formats variés, plein d’autres associations, collectifs, medias, activistes qui ont investis les réseaux sociaux).

Bibliographie

L'analyse en PDF

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